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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12982

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12982


Tribunal administratif N° 12982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … REDZEPOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12982 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tablea

u de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … REDZEPOVIC, né le … à Tutin (Serbie/You...

Tribunal administratif N° 12982 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … REDZEPOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12982 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … REDZEPOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 octobre 2000, notifiée en date du 11 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 23 juillet 1998, Monsieur … REDZEPOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur REDZEPOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur REDZEPOVIC fut en outre entendu en date du 15 avril 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 13 octobre 2000, notifiée en date du 11 décembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur REDZEPOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous avez exposé que vous avez accompli votre service militaire en 1996/1997. Vous avez, par la suite, été convoqué cinq ou six fois à la réserve, mais vous n’étiez jamais présent quand la police est venue vous chercher. Vous ne connaissez pas les sanctions qui vous attendent pour insoumission, mais vous pensez risquer la mort.

Vous ajoutez que vous étiez membre du parti politique SDA depuis 1993 ou 1994, mais vous n’y avez jamais été actif.

Vous dites enfin avoir demandé l’asile à cause de la situation générale au Sandzak qui vous rendrait la vie insupportable.

Vous ne faites pas état d’autres faits.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne fonde pas, à elle seule, une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention.

En l’espèce, il ne se dégage pas de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour l’une des raisons énumérées par l’article 1er A, 2 de la Convention, telles que vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité ou votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 10 janvier 2001, Monsieur REDZEPOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 13 octobre 2000.

Par décision du 18 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 27 février 2001, Monsieur REDZEPOVIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 13 octobre 2000 et 18 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Sandzak et plus particulièrement de Tutin (Serbie/Yougoslavie) et de confession musulmane, et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de son insoumission, en ce qu’il aurait refusé de donner suite à plusieurs appels qui lui auraient été adressés par l’armée fédérale yougoslave afin d’accomplir son service de réserve auprès de ladite armée. Il soutient plus particulièrement dans ce contexte que le fait de ne pas répondre aux convocations à la réserve pourrait être interprété comme l’expression d’une opinion politique contraire au régime en place dans son pays d’origine. Il ajoute qu’il serait exposé à des persécutions du fait de son insoumission et qu’il risquerait d’être condamné à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction.

Monsieur REDZEPOVIC soutient encore qu’il ne disposerait d’aucune possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave, d’autant plus qu’il ne pourrait pas se rendre dans la province du Kosovo, alors qu’il ne parlerait pas la langue albanaise, mais uniquement le serbo-

croate en raison de son appartenance à la minorité des « bochniaques ». Par ailleurs, l’administration civile en place au Kosovo serait dans l’impossibilité de lui garantir une sécurité suffisante.

Enfin, il fait exposer qu’il risquerait des persécutions en raison de son appartenance au parti politique « SDA » qui serait engagé dans la défense des droits des « bochniaques » et plus spécialement dans la lutte pour l’autonomie du Sandzak.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, son engagement politique, sa religion musulmane, ainsi que la situation générale des bochniaques en Serbie, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur REDZEPOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 3 ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur REDZEPOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur REDZEPOVIC lors de son audition en date du 15 avril 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur REDZEPOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur REDZEPOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur REDZEPOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis 4 de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion n’est pas énervée par les pièces déposées par le mandataire du demandeur lors des plaidoiries, à savoir une ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad HADZAJLIC et les documents visant un dénommé Misin RASTODER, lesquels ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisant pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Durakovic, n° 13853C du rôle).

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance au parti politique « SDA » de Monsieur REDZEPOVIC, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur REDZEPOVIC indique simplement avoir été membre du parti SDA sans indiquer avoir exercé des activités politiques en raison de son appartenance au prédit parti et sans expliquer en quoi il risquerait des persécutions de ce fait. Ainsi, il n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au parti « SDA », de sorte que ces craintes constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il ait démontré que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place en Serbie encourageraient d’éventuelles exactions ou ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Serbie.

Enfin, les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté « bochniaque », de la situation politique générale dans son pays d’origine, et de sa peur des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

En ce qui concerne une éventuelle possibilité de fuite interne dans son pays d’origine, le demandeur n’établit pas des raisons valables pour lesquelles il ne pourrait pas trouver un refuge dans une autre partie de la Yougoslavie et plus particulièrement, il n’invoque aucune raison qui lui rendrait impossible son installation au Monténégro.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12982
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12982 ?

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