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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12975

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12975


Tribunal administratif N° 12975 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … DAUTAJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12975 du rôle, déposée le 26 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avoca

t à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DAUTAJ, ...

Tribunal administratif N° 12975 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … DAUTAJ contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12975 du rôle, déposée le 26 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DAUTAJ, né le … à Decane (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, notifiée le 12 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 janvier 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 novembre 1998, Monsieur … DAUTAJ introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur DAUTAJ fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Monsieur DAUTAJ fut entendu en date du 24 février 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, en présence de son avocat et d’un tuteur.

Par décision du 20 novembre 2000, notifiée en date du 12 décembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur DAUTAJ de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous expliquez que la maison de vos parents aurait été détruite lors des bombardements par les Serbes. Vous exposez que vous voudriez rester au Luxembourg jusqu’à ce que la situation se soit calmée au Kosovo. Vous souhaiteriez terminer vos études au Luxembourg et y trouver un emploi. Vous dites ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté. Enfin, vous affirmez ne pas avoir peur au Kosovo.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que le conflit armé est terminé et qu’une situation de paix s’est installée dans votre région d’origine. L’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

La destruction de la maison de vos parents – même à la supposer établie, alors que vous ne communiquez que quelques photos qui pourraient montrer n’importe quelle autre maison – et l’insécurité au Kosovo que vous invoquez ne sont pas non plus de nature à justifier une crainte de persécution pour un motif énoncé par la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre du 9 janvier 2001, Monsieur DAUTAJ introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 novembre 2000. Dans ladite lettre, il sollicita encore la reconnaissance d’un statut de tolérance, afin d’être autorisé à rester temporairement au Luxembourg soit jusqu’à ce que la 2 maison d’habitation de ses parents aura été reconstruite, soit jusqu’à la fin de l’année scolaire afin de lui permettre de poursuivre ses cours.

Par décision du 18 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure du 20 novembre 2000.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 février 2001, Monsieur DAUTAJ a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, ainsi que de celle confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 18 janvier 2001.

Quant au refus du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées dans la mesure où elles portent sur le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur expose qu’il serait de religion musulmane, originaire du Kosovo, appartenant à la population albanaise du Kosovo et qu’il aurait été obligé de quitter son pays d’origine en raison des bombardements qui auraient eu lieu par les forces militaires serbes quelques jours avant son départ au cours desquels la maison d’habitation de ses parents, auprès desquels il aurait habité, aurait été complètement détruite. Il soutient qu’il garderait encore à l’heure actuelle des séquelles psychiques dues à ces événements qui se seraient produits en automne 1998.

Il reproche à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte des persécutions qu’il aurait encourues dans son pays d’origine à la suite de la proclamation de l’état de guerre, en raison de sa confession religieuse.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés et la situation générale de son pays d’origine qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur DAUTAJ et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur DAUTAJ.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur DAUTAJ lors de son audition en date du 24 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos.73-s).

4 Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, concernant les allégations du demandeur que la maison d’habitation de ses parents, qu’il aurait occupée ensemble avec ceux-ci, aurait été détruite à la suite des bombardements de l’armée fédérale serbe ayant eu lieu en automne 1998, force est de constater que les faits prérelatés, même à les supposer établis, ne dénotent pas une persécution systématique du demandeur pour constituer à l’heure actuelle un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié.

Concernant les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane, il convient de constater que ces craintes constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’il n’établisse concrètement en quoi, à l’heure actuelle, il serait encore exposé à un risque de persécution, tel que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Quant à la demande en admission à un statut de tolérance Enfin, il convient de relever que le recours contentieux du demandeur est également dirigé contre une éventuelle décision du ministre de la Justice relativement à sa demande en admission à un statut de tolérance, telle que formulée en ordre subsidiaire dans son recours gracieux du 9 janvier 2001.

Or, dans la mesure où la décision ministérielle du 18 janvier 2001 est purement confirmative de la décision initiale du 20 novembre 2000, cette dernière ayant exclusivement trait à la procédure « normale » de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et que le délégué du gouvernement a confirmé explicitement à travers son mémoire en réponse qu’aucune décision n’a encore été prise y relativement, il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de ce volet du recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre les décisions de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique ;

5 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre les décisions de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique ;

déclare le recours sans objet dans la mesure où il vise une prétendue décision de refus relativement à sa demande en admission à un statut de tolérance ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12975
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12975 ?

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