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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12932

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12932


Numéro 12932 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LEKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12932 du rôle, déposée le 19 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre FELTGEN, avocat à la Cour, assist

é de Maître Nathalie BORON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des av...

Numéro 12932 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LEKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12932 du rôle, déposée le 19 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre FELTGEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nathalie BORON, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LEKOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 15 décembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 9 mars 1999, Monsieur … LEKOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur LEKOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur LEKOVIC fut en outre entendu en date du 11 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur LEKOVIC, par lettre du 12 octobre 2000, notifiée en date du 15 décembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du ministère de la Justice que vous avez reçu une convocation pour faire votre service militaire en février 1999. C’est directement suite à cette convocation que vous avez quitté votre pays. Vous dites que vous ne vouliez pas faire la guerre contre les musulmans du Kosovo et que vous risquez sûrement une sanction, même si vous dites ignorer laquelle.

Vous dites n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous reconnaissez ne pas avoir subi de persécutions. Vous précisez être seulement parti pour éviter la guerre. Vous ajoutez que vous n’aviez pas de travail dans votre pays, alors que, par contre, ici, vous en avez trouvé un.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention.

Il ne se dégage d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er A, 2, de la Convention de Genève ni que la vie vous serait intolérable dans votre pays. En effet, vous n’arguez d’aucune crainte en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

(…) ».

Le recours gracieux formé par Monsieur LEKOVIC suivant courrier recommandé de son mandataire daté au 15 janvier 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 19 janvier 2001, il a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des deux décisions ministérielles précitées des 12 octobre 2000 et 19 janvier 2001 par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 février 2001.

2 Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les décisions ministérielles critiquées, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre les mêmes décisions.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Il s’ensuit que le recours principal en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre subsidiaire ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Tutin en Serbie et qu’il serait de religion musulmane, appartenant à la minorité des « bochniaques », qu’il appartiendrait de ce fait à une minorité persécutée par les Serbes, qu’il aurait été appelé par l’armée fédérale pour la réserve militaire et qu’il ne se serait pas présenté à la réserve au motif qu’il n’aurait pas désiré « massacrer de pauvres innocents » et qu’il risquerait maintenant d’être condamné, en sa qualité d’insoumis, à une peine de prison dès son retour dans son pays d’origine. Il déclare également craindre des persécutions en raison de son appartenance à la population musulmane, d’autant plus qu’il n’aurait pas pu pratiquer librement sa religion sans crainte de représailles dans son pays d’origine. Ainsi, des « attaques » dirigées contre des musulmans seraient « monnaie courante » en Serbie. Dans ce contexte, il se réfère à la situation générale existant dans son pays d’origine où la population se trouverait « confrontée à des bains de sang un peu partout dans le pays » et où la population « bochniaque » serait minoritaire et qu’elle ferait l’objet de nombreux attentats à son encontre.

Sur ce, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission et sa religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans de Serbie, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en 3 réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 11 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En outre, les craintes de persécutions du demandeur en raison de son appartenance à la communauté musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il y a lieu de relever à cet égard qu’il a déclaré lors de son audition ne pas avoir subi de persécutions et fonder sa crainte exclusivement sur son refus d’accomplir son service militaire.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la 4 reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par courrier du 24 septembre 2001, déposé le même jour au greffe du tribunal administratif, le mandataire du demandeur a informé le tribunal administratif qu’il était d’accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré en son absence, étant donné qu’il ne comptait développer aucun argument supplémentaire au cours des plaidoiries orales.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience fixée pour les plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a déposé une requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12932
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12932 ?

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