La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12898

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12898


Tribunal administratif N° 12898 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12898 du rôle, déposée le 14 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Thessy KUBORN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur … SABOTIC, né le … à Berane (Monténégro / Yougoslavie), de nationalité yougos...

Tribunal administratif N° 12898 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12898 du rôle, déposée le 14 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Thessy KUBORN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Berane (Monténégro / Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 février 2001, portant confirmation d’une décision antérieure du 23 octobre 2000, notifiée en date du 27 décembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et, subsidiairement, à la réformation sinon à l’annulation de la décision initiale précitée du 23 octobre 2000 ;

Vu la lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg du 18 janvier 2001, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2001 dont il ressort que Monsieur SABOTIC bénéficie de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Dominique FARYS, en remplacement de Maître Yvette HAMILIUS et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 19 novembre 1998, Monsieur … SABOTIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SABOTIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi qu’en date du 25 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC, par lettre du 23 octobre 2000, notifiée en date du 27 décembre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous n’avez pas fait votre service militaire. Vous avez reçu deux convocations, en juin et en septembre, mais vous les avez refusées. Vous dites que vous ne vouliez pas faire votre service militaire au Kosovo ni tuer des innocents. Vous ajoutez que vous ignorez quelles sanctions vous attendent, mais vous pensez que cela pourrait être une condamnation à trois ou six ans de prison.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous dites craindre les sanctions de l’armée et de la police militaire, mais n’avoir subi personnellement aucune persécution.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la Convention.

Il ne se dégage d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève. Vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays, telle une crainte en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier de son mandataire datant du 23 janvier 2001, Monsieur SABOTIC fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 23 octobre 2000.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 7 février 2001, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 7 février 2001 et subsidiairement à la réformation sinon à l’annulation de la décision également précitée du 23 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2. d’un régime de protection 2 temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard de décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par lui soumis ne seraient pas de nature à fonder dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Il expose qu’il serait originaire de Berane et de confession musulmane, que respectivement son départ de son pays d’origine et son insoumission seraient motivés par le fait qu’il n’aurait pas voulu servir dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste et participer à des actes de violence à l’égard d’autres personnes. Il soutient qu’il aurait été obligé de fuir son pays afin d’éviter d’être persécuté par les autorités de celui-ci et que l’insoumission devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que son attitude aurait été dictée par des motifs politiques et religieux. Il expose encore que malgré le fait qu’une loi d’amnistie a été votée au Monténégro, les arrestations de réfractaires et de déserteurs se poursuivraient et que cette loi aurait une valeur purement politique. Ainsi, il estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine, son insoumission risquerait d’être gravement sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée et l’exposant à des persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il fait encore valoir que dans sa région d’origine, à savoir le Sandzak, située des deux côtés de la frontière entre la Serbie et le Monténégro, la situation politique serait très tendue du fait notamment que les militaires et les groupes paramilitaires y seraient particulièrement présents. En outre, en raison de son appartenance à la communauté religieuse des musulmans, il constituerait « une cible privilégiée des militaires ou des groupements paramilitaires » et qu’il risquerait de ce fait être l’objet non seulement de menaces, mais également d’actes de violence.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SABOTIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition du 25 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur SABOTIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

4 Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à Monsieur SABOTIC qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12898
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12898 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award