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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12874

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12874


Tribunal administratif N° 12874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … DEMIROVIC et son épouse, Madame … … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12874 du rôle, déposée le 8 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DEMIROVIC, né

le … à Tutin (Serbie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Paralovo (Sandzak/Serbie)...

Tribunal administratif N° 12874 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 février 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … DEMIROVIC et son épouse, Madame … … et consort contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12874 du rôle, déposée le 8 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DEMIROVIC, né le … à Tutin (Serbie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Paralovo (Sandzak/Serbie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fils mineur … DEMIROVIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 septembre 2000, notifiée en date du 22 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 janvier 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, en ses plaidoiries.

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Le 11 mai 1999, Monsieur … DEMIROVIC et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur fils mineur … DEMIROVIC, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le ministre de la Justice informa les époux DEMIROVIC-…, par lettre du 29 septembre 2000, notifiée en date du 22 novembre 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« (…) Monsieur, il résulte de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous avez fait votre service militaire en 1977. Par la suite, vous n’avez jamais été appelé à la réserve car vous n’étiez pas enregistré auprès des autorités. Vous ajoutez cependant que vous auriez sûrement été mobilisé si la police militaire vous avait trouvé. Par contre, vos deux fils majeurs ont été appelés pour effectuer leur service militaire et, comme ils ont fui le pays avec vous, ils risquent maintenant une peine de prison pour insoumission.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous reconnaissez n’avoir subi personnellement aucune persécution mais vous avez peur pour vos enfants.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et précisez que vous ne recherchez que la sécurité pour vos enfants.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois constater qu’il ne ressort d’aucune de vos allégations que vous risquiez d’être persécutés pour une des raisons énumérées par l’article 1er A,2 de la Convention de Genève.

Vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays, telle une crainte en raison d’opinions politiques, de race, de religion, de nationalité ou d’appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile ; 2) d'un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par courrier du 20 décembre 2000, les consorts DEMIROVIC-… firent introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 29 septembre 2000.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 3 janvier 2001, les consorts DEMIROVIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 29 septembre 2000 et 3 janvier 2001.

2 Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance des demandeurs, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Ils exposent qu’ils seraient originaires de Novi-Pazar en Serbie et de confession musulmane, que le départ de leur pays d’origine, respectivement l’insoumission de Monsieur DEMIROVIC, seraient motivés par le fait que ce dernier ne voulait pas servir dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste et participer ainsi à des actions militaires qui ont été condamnées par la communauté internationale. Ils soutiennent que l’insoumission de Monsieur DEMIROVIC devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution, dès lors que son attitude aurait été dictée par des raisons politiques et de conscience, et que son comportement risquerait d’être perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Ils affirment qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, l’insoumission de Monsieur DEMIROVIC risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée et l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève.

Ils soulignent encore que toute possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave serait impossible dans leur chef, étant donné qu’ils ne pourraient pas se réfugier dans la province du Kosovo, alors qu’ils ne parleraient pas la langue albanaise mais uniquement le serbo-croate, puisqu’ils appartiendraient à la minorité yougoslave des bochniaques. Par ailleurs, l’administration civile mise en place au Kosovo serait dans l’impossibilité de garantir leur sécurité au Kosovo.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas.

adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DEMIROVIC-… dans leur requête introductive d’instance, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission de Monsieur DEMIROVIC, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur DEMIROVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Par ailleurs, les craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans leur pays d’origine, en raison de leur peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de 4 persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Enfin, à cela s’ajoute que les craintes de persécutions invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation existant en Serbie et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale. Ainsi, à part le fait que les demandeurs n’ont pas établi que l’administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies et la force armée internationale agissant sous l'égide des Nations Unies, installée sur le territoire du Kosovo ne sont pas en mesure d'assurer leur sécurité physique individuelle au Kosovo, ils n’allèguent aucun élément de nature à établir des raisons valables empêchant leur installation au Monténégro.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12874
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12874 ?

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