La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12840

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 12840


Tribunal administratif N° 12840 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

===========================

Recours formé par Madame … ZVEROTIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12840 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2001 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Marianne RAU, avocat, to

us les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ZVEROTIC, n...

Tribunal administratif N° 12840 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 janvier 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

===========================

Recours formé par Madame … ZVEROTIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-----------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12840 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2001 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Marianne RAU, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … ZVEROTIC, née le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses deux enfants mineurs … ZVEROTIC, né le … à Luxembourg et … ZVEROTIC, née le … à Luxembourg, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 janvier 2001, portant confirmation d’une décision antérieure du 9 octobre 2000, notifiée le 12 décembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, et subsidiairement à la réformation sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 9 octobre 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Marianne RAU, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 5 mars 1998, Madame … ZVEROTIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Madame ZVEROTIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date des 5 et 6 mars 1998, 27 mai 1998, 14 janvier 1999 et 9 octobre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 9 octobre 2000, notifiée le 12 décembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame ZVEROTIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations faites aux agents du Ministère de la Justice que vous avez quitté votre pays parce que votre fiancé, père de votre futur enfant, a eu des problèmes avec la police et qu’il a été arrêté. Vous dites avoir été interrogée à son sujet par la police. Vous avez appris par la suite qu’il était accusé d’avoir été membre de l’UCK.

Vous précisez n’être membre d’aucun parti politique et n’avoir aucune activité politique.

Vous dites que la situation est encore tendue au Kosovo et qu’il faut se méfier tant des Albanais que des Serbes. Vous ajoutez que, de plus, votre maison est actuellement occupée par des sans-abris musulmans, ce qui rendrait votre retour difficile.

Je me permets de vous signaler que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait qu’une force internationale, sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques et, le cas échéant, pour assurer votre sécurité.

Je dois constater qu’il ne se dégage de vos assertions aucune crainte de persécutions telles qu’énumérées par l’article 1er A,2 de la Convention de Genève.

En effet, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par un courrier de son mandataire daté du 2 janvier 2001, Madame ZVEROTIC forma un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 9 octobre 2000.

2 Par lettre du 18 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure du 9 octobre 2000.

Par requête déposée en date du 30 janvier 2001, Madame ZVEROTIC, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et … ZVEROTIC, a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 18 janvier 2001 et subsidiairement à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle également précitée du 9 octobre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire du Kosovo, de confession musulmane, appartenant à la minorité des « bochniaques » et qu’elle aurait quitté son pays d’origine, à savoir le Kosovo, en raison des difficultés qu’y aurait eu son fiancé, père de son premier enfant, que les autorités auraient soupçonné de « terrorisme » et des interrogatoires qu’elle aurait subis par la police dans ce contexte ainsi qu’en raison de la recommandation qui lui aurait été faite de quitter son pays d’origine, étant donné que, du fait qu’elle serait de mère serbe et de père albanais, elle risquerait des menaces non seulement de la part des Serbes en raison de ses origines albanaises mais également de la part des Albanais en raison de ses origines serbes. Elle ajoute qu’elle ne serait pas en mesure de retourner à l’heure actuelle dans son pays d’origine, au motif que sa maison serait occupée par des « sans-abri » et qu’elle n’aurait plus de famille proche dans sa ville d’origine et que de ce fait, elle constituerait « une cible facile pour [des] agressions ». D’une manière générale, elle expose qu’il y aurait toujours des persécutions au Kosovo, en raison de tensions ethniques, ceci malgré la présence d’une force internationale sous l’égide des Nations Unies qui y est installée afin d’assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques.

Sur base des faits ainsi soumis, la demanderesse estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame ZVEROTIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Au cours des plaidoiries, le délégué du gouvernement a mis en doute les affirmations de la demanderesse selon lesquelles elle proviendrait du Kosovo, et il a exprimé l’avis qu’elle serait originaire du Monténégro où elle déclare être née. Il estime que de ce fait, il y aurait lieu de prendre en considération les risques de persécution ou les persécutions invoquées par la demanderesse par rapport à la situation existant au Monténégro. La demanderesse fait contester cette interprétation des faits en affirmant qu’au contraire, tel que cela ressort par ailleurs de ses déclarations auprès d’un agent du ministère de la Justice, elle serait originaire du 3 Kosovo, où elle aurait habité avant de prendre la fuite pour s’installer au Grand-Duché de Luxembourg, tout en admettant qu’elle serait effectivement née au Monténégro.

Il échet de constater que les déclarations faites par la demanderesse quant à son pays d’origine sont cohérentes et crédibles et qu’en l’absence d’éléments permettant de conclure qu’elle proviendrait en réalité du Monténégro, il échet d’analyser sa situation par rapport au pays de sa dernière résidence, à savoir le Kosovo.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame ZVEROTIC lors de ses auditions respectives en date des 5 et 6 mars 1998, 27 mai 1998, 14 janvier 1999 et 9 octobre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les quatre comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant 4 sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que la demanderesse n’a, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre dans son pays d’origine, à savoir le Kosovo, une persécution de la part des autorités serbes.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, discriminations voire pire par des groupes de la population albanaise du Kosovo, mais elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par la demanderesse s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il échet de relever dans ce contexte que la demanderesse ne fait état d’aucun élément concret à la base de sa demande d’asile permettant d’évaluer les persécutions ou les risques de persécutions qu’elle risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine. Ainsi, à défaut d’avoir établi des circonstances particulières susceptibles de justifier dans son chef de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir qu’elle risque de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Par ailleurs, la demanderesse n’établit pas des raisons pour lesquelles elle ne pourrait pas profiter d'une possibilité de fuite interne dans son pays.

5 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Il ressort des pièces déposées par la demanderesse au greffe du tribunal administratif en date du 30 janvier 2001 que suivant une lettre du 4 janvier 2001 du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, elle bénéficie de l’assistance judiciaire. Il échet partant de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à la demanderesse de ce qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12840
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;12840 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award