Tribunal administratif N° 13223 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 12 novembre 2001
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Recours formé par les époux … HEROVIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13223 du rôle et déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Monique SCHMITZ, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom des époux … HEROVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie) et … …, née le … à Berane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … HEROVIC, né le … à Berane et … HEROVIC, né le … à Berane, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 novembre 2000, notifiée en date du 8 février 2001, refusant de faire droit à leur demande d’asile, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le même ministre en date du 9 mars 2001 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN, en remplacement de Maître Monique SCHMITZ, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-
Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2001.
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En date du 15 octobre 1999, les époux … HEROVIC et … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … HEROVIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.
En date du 16 août 1999, les époux HEROVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux HEROVIC-… par décision datant du 15 novembre 2000, leur notifiée en date du 8 février 2001, que leur demande avait été rejetée aux motifs que l’insoumission de Monsieur HEROVIC invoquée à l’appui du recours ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement en novembre 2000.
A l’encontre de cette décision, les époux HEROVIC-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 7 mars 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 9 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 15 novembre 2000 et 9 mars 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, les demandeurs exposent être originaires de la ville de Berane au Monténégro et de confession musulmane. Ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir apprécié à sa juste valeur leur situation spécifique et subjective et font valoir qu’en raison de sa désertion, Monsieur HEROVIC risquerait, en cas de retour dans son pays, d’être cité pour des raisons politico-religieuses devant un tribunal militaire et d’encourir un emprisonnement d’une durée jusqu’à dix ans, soit une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité réelle des faits lui reprochés. Ils exposent plus particulièrement à cet égard que Monsieur HEROVIC aurait été convoqué en février 1999, sans préjudice quant à la date exacte, pour la réserve militaire avec comme objectif de rejoindre les forces militaires serbes engagées au Kosovo, de sorte que par crainte pour sa personne, ainsi que poussé par le désir de ne pas être amené un jour à brandir une arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui-même, il aurait décidé de quitter le pays. Les demandeurs ajoutent qu’ils risqueraient d’être sujet à des persécutions sérieuses en cas de retour dans leur pays d’origine en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des bochniaques, lesquels seraient sujet à de nombreuses discriminations au sein de leur pays par les autorités fédérales et monténégrines et dont le sort risquerait de ne pas être amélioré du fait du changement politique intervenu au niveau fédéral.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts HEROVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 2 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 16 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur HEROVIC, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur HEROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que Monsieur HEROVIC n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu notamment de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.
Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur confession musulmane, ainsi que de leur appartenance à la minorité ethnique des bochniaques, force est de constater que les craintes afférentes exprimées par les demandeurs s’analysent en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, 3 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 novembre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4