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12/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13135

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 novembre 2001, 13135


Numéro 13135 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2001 Audience publique du 12 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13135 du rôle, déposée le 28 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, assis

té de Maître Sandra MATHES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avo...

Numéro 13135 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mars 2001 Audience publique du 12 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13135 du rôle, déposée le 28 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra MATHES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Niksic (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 19 octobre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juin 2001 par Maître KRONSHAGEN pour compte de Monsieur MURATOVIC;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2001;

Vu le courrier de Maître Sandra MATHES du 12 octobre 2001 informant le tribunal de ce que Monsieur MURATOVIC bénéficie de l’assistance judiciaire;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries à l’audience publique du 15 octobre 2001.

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Le 31 mars 1999, Monsieur … MURATOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur MURATOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur MURATOVIC fut entendu en date du 2 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur MURATOVIC, par lettre du 19 octobre 2000, notifiée en date du 1er mars 2001, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il ne se dégagerait d’aucune de ses allégations qu’il risquerait d’être persécuté pour une des raisons énumérées par l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soient susceptibles de rendre sa vie intolérable dans son pays, telle une crainte en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 19 octobre 2000, Monsieur MURATOVIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 28 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait quitté son pays d’origine au mois de février « par peur d’être enrôlé pour participer à des opérations militaires périlleuses dans lesquelles il se serait vu obligé de tirer sur d’autres personnes ». Cet appel à joindre la réserve de l’armée yougoslave lui ayant été effectivement adressé en avril 1999 sans qu’il n’y ait donné suite, il fait valoir qu’il serait recherché par la police militaire comme déserteur et risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire et condamné à une lourde peine d’emprisonnement. Le demandeur soutient encore qu’il aurait été régulièrement insulté à cause de sa religion musulmane et qu’il se verrait dans l’impossibilité de circuler librement dans son pays d’origine et de chercher du travail pour assurer son existence.

Le demandeur renvoie à la Déclaration universelle des droits de l’homme et plus particulièrement à son article 19 pour soutenir que « le fait d’être de religion musulmane 2 dans un régime politique tyrannique qui traque les musulmans constitue bien une atteinte à l’expression de ses opinions ».

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’insoumission ne constituerait pas un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et qu’une loi d’amnistie, couvrant ceux ayant commis jusqu’au 7 octobre 2000 le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, a été adoptée par le parlement yougoslave au mois de février 2001, laquelle est entrée en vigueur en mars 2001. Il ajoute que la paix régnerait actuellement dans la région d’origine du demandeur, de manière qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement de son service militaire lui imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Le représentant étatique soutient que la référence par le demandeur à la situation générale dans son pays d’origine et à son appartenance à la communauté musulmane serait insuffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il faudrait également prendre en compte sa situation particulière. Le représentant étatique d’estimer encore que la référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme ne serait pas pertinente dans le cadre de l’application de la Convention de Genève et que, même s’il y avait pertinence, le simple fait de tomber dans le champ d’application de ladite Déclaration n’autoriserait pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. Quant au reproche du demandeur tiré du défaut par le ministre d’avoir vérifié concrètement l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans son chef, le délégué du Gouvernement considère que la charge de la preuve incombe au demandeur d’asile et qu’il n’appartiendrait pas aux autorités compétentes de compléter le récit du requérant ou d’effectuer des recherches complémentaires. Le délégué du Gouvernement renvoie finalement à l’évolution de la situation politique en Yougoslavie et notamment à l’élection d’un nouveau président et à la formation d’un nouveau gouvernement.

A travers son mémoire en réplique, le demandeur conteste les changements politiques invoqués par le délégué du Gouvernement et soutient qu’il « existe actuellement encore de grandes tensions et l’on a souvent été au bord d’une guerre civile » et que la situation resterait particulièrement difficile pour les musulmans, lesquels feraient toujours l’objet de toutes sortes de discriminations. Il fait encore valoir que la loi d’amnistie votée au mois de février 2001 ne couvrirait pas ceux qui, par leur départ à l’étranger, ne se sont pas soumis à l’appel et ceux dans le chef desquels la date exacte de la commission du délit ne serait pas connue. Il prétend que la même loi laisserait un vide juridique en ce qu’elle ne préciserait pas les délais accordés aux insoumis pour rentrer au pays et régulariser leur statut, vu le caractère continu de l’infraction d’insoumission.

Le délégué du Gouvernement estime dans son mémoire en duplique que le doute émis par le demandeur quant à l’application effective de la loi d’amnistie yougoslave serait incompatible avec le nouveau régime yougoslave et serait contredit par une prise de position du Haut Commissariat pour les Réfugiés versée au dossier. Il signale en outre que, même si la situation des musulmans au Monténégro est difficile, elle ne serait pas telle que tout musulman du Monténégro aurait raison de craindre d’être exposé à des persécutions de la part des autorités en place ou de tiers du seul fait de sa religion.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence 3 habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 2 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont notamment ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par le moyen des demandeurs tiré du défaut d’application effective de la loi d’amnistie et du caractère continu de l’infraction d’insoumission. En effet, cette interprétation reviendrait à vider la loi 4 d’amnistie du 26 février 2001 en fait de sa substance, compte tenu du fait que ladite loi a été publiée postérieurement à la date à laquelle les personnes concernées auraient dû se présenter aux autorités compétentes afin d’en bénéficier. Il y a par ailleurs lieu d’ajouter que le UNHCR est d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 25 septembre 2001, Rastoder, n° 13596C, non encore publié).

Le moyen du demandeur tiré de la situation générale en Yougoslavie constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant entendu que les insultes dont le demandeur se prévaut ne sont pas d’une gravité suffisante pour lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine.

Les principes inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme doivent faire l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève. Etant donné que le demandeur ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié politique, le moyen tiré de la violation de ladite Déclaration est à rejeter, le simple fait de tomber dans le champ d’application de cette dernière n’autorisant pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Conformément à sa demande afférente, il y a lieu de donner acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 novembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13135
Date de la décision : 12/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-12;13135 ?

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