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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13274

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 13274


Tribunal administratif N° 13274 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le13 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par les époux … ZALJEVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13274 du rôle et déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLA

HZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ZA...

Tribunal administratif N° 13274 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le13 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par les époux … ZALJEVIC et … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13274 du rôle et déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ZALJEVIC, né le … à Radzdaginja/Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et … …, née le … à Slatina (Bosnie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 novembre 2000, notifiée le 27 décembre 2000, refusant de faire droit à leur demande d’asile, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le même ministre en date du 14 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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En date du 18 février 1999, les époux … ZALJEVIC et … … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

En date du 19 août 1999, les époux ZALJEVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux ZALJEVIC-… par décision datant du 21 novembre 2000, leur notifiée en date du 27 décembre 2000, que leur demande avait été rejetée aux motifs que l’insoumission de Monsieur ZALJEVIC invoquée à l’appui du recours ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs une situation de paix se serait installée dans la région, de sorte qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Concernant le statut particulier des ressortissants de confession musulmane de Serbie en général et de ceux du Sandzak en particulier, le ministre a signalé que les demandeurs resteraient en défaut d’établir que leur situation particulière serait de nature à laisser supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef. Par la même décision, il a relevé que tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles invoquées par les demandeurs en cas de retour dans leur région d’origine, ces considérations ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile, de même que depuis le mois d’octobre 2000 le régime politique aurait changé en République fédérale yougoslave par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

A l’encontre de cette décision, les époux ZALJEVIC-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 27 janvier 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 14 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 21 novembre 2000 et 14 mars 2001 par requête déposée en date du 13 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs exposent être originaires de Novi Pazar en Serbie et de confession musulmane. Ils font valoir que Monsieur ZALJEVIC aurait été membre du parti politique SDA, actuellement prohibé par le régime en place, qu’à ce titre il aurait été discriminé dans son travail et que sa maison aurait été incendiée par les soldats serbes en représailles de son refus de s’enrôler dans l’armée yougoslave. Dans la mesure où Monsieur ZALJEVIC risquerait actuellement de subir des persécutions en raison de ses activités politiques de la part des autorités en place ainsi que des groupes paramilitaires soutenus par ces dernières, les époux ZALJEVIC-… auraient décidé de quitter leur pays d’origine. Ils font encore valoir que cette fuite aurait dès lors pour partie été motivée par le fait que Monsieur ZALJEVIC ne voulait pas être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves en tant que réserviste et que cette insoumission l’exposerait, en cas de retour dans son pays, au risque de faire l’objet d’une condamnation de portée disproportionnée, ce qui permettrait de le regarder comme entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève, étant donné que son 2 attitude aurait été dictée par des raisons politiques et de consciences valables. Les demandeurs relèvent à cet égard qu’ils ont quitté leur pays d’origine à un moment où il était établi que les forces militaires yougoslaves étaient en conflit militaire ouvert avec les forces militaires internationales, de sorte que Monsieur ZALJEVIC n’aurait raisonnablement pas pu devenir complice d’un tel processus, lequel aurait heurté ses principes politiques ainsi que sa conscience. Les demandeurs signalent en outre que Monsieur ZALJEVIC aurait été sauvagement torturé par les autorités serbes en raison de la participation de ses frères dans l’armée ainsi qu’à l’occasion d’une perquisition exécutée par la police serbe et qu’il garderait encore aujourd’hui les séquelles physiques et psychiques de ces violences. Concernant leur crainte relative aux conséquences de l’insoumission de Monsieur ZALJEVIC, les demandeurs font valoir qu’il serait permis de douter de l’application effective et rigoureuse de la loi d’amnistie adoptée au niveau fédéral, étant donné que cette loi ne garantirait pas l’amnistie à tous ceux qui, par leur départ à l’étranger, ont refusé de prendre les armes ou ne se sont pas soumis à l’appel. Ils relèvent plus particulièrement à cet égard que la loi d’amnistie laisserait un vide juridique en ne précisant pas les délais accordés pour rentrer au pays, se présenter auprès des organes compétents et régulariser le statut. Ils signalent encore que dans la mesure où la non-réponse à l’appel et l’insoumission au service militaire constitueraient des délits continués, l’infraction y relative serait constituée jusqu’au moment de la présentation de la personne concernée devant un organe étatique compétent, de sorte que les personnes ayant été dans l’impossibilité de se présenter avant le 7 octobre 2000 risqueraient toujours d’être condamnées rétroactivement.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts ZALJEVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs entendent illustrer les doutes par eux invoqués relativement à l’application effective de la loi d’amnistie à travers une pièce versée en cause, en l’occurrence une ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje datée au 30 juin 2001, décidant de l’ouverture d’une procédure judiciaire du chef de désertion à l’encontre d’un dénommé HADZAJLIC Nedzad, pour soutenir qu’en dépit des termes de la loi d’amnistie des poursuites seraient encore engagées contre des personnes ayant déserté même avant le 7 octobre 2000.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 19 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur ZALJEVIC, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur ZALJEVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que Monsieur ZALJEVIC n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continue et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà, étant entendu par ailleurs que l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie est démentie par le Haut Commissariat pour les Réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée à ces derniers. (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Agovic, non encore publié). Force est encore de constater que la pièce invoquée par les demandeurs pour soutenir leurs doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur confession musulmane, force est de constater que si les demandeurs, au-delà de se référer à des événements illustrant la situation générale des minorités musulmanes en Serbie, se sont certes également référés à des éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle, il n’en reste cependant pas moins que des craintes de persécution afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation en Serbie, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

4 Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13274
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;13274 ?

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