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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13233

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 13233


Tribunal administratif N° 13233 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par les époux … BATILOVIC et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13233 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Louis

TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ...

Tribunal administratif N° 13233 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par les époux … BATILOVIC et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13233 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … BATILOVIC, né le … à Dobrusa Istok (Kosovo/Yougoslavie), et … …, née le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … BATILOVIC, né le … à Pec, et … BATILOVIC, née le … à Pec, demeurant actuellement tous ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 novembre 2000, notifiée en date du 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 12 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2001 par Maître Louis TINTI, au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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Le 24 juin 1999, les époux … BATILOVIC et … …, agissant pour eux mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New 1 York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux BATILOVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux BATILOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile en date du 30 juin 1999.

Par décision du 24 novembre 2000, notifiée le 8 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux BATILOVIC-… que leur demande avait été rejetée aux motifs que la simple appartenance de Monsieur BATILOVIC à un parti politique serait insuffisante pour leur voir reconnaître le statut de réfugié, dès lors qu’il n’aurait exercé aucune activité politique, et que les harcèlements relevés par les demandeurs et les difficultés de Monsieur BATILOVIC pour trouver un emploi ne seraient pas constitutives non plus d’une persécution au sens de la Convention de Genève. Concernant les autres motifs invoqués, à savoir l’expulsion des demandeurs de leur maison, ainsi que le pillage et l’incendie subséquents, le ministre a retenu que même si ces actes étaient condamnables, ils ne seraient pas de nature à faire bénéficier les consorts BATILOVIC-… du statut de réfugié. Par la même décision le ministre a relevé que le conflit armé est terminé, qu’une situation de paix s’est établie dans la région d’origine des époux BATILOVIC-… et que des centaines de milliers de personnes qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine auraient réintégré leur foyer après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Par courrier de leur mandataire datant du 8 mars 2001, les époux BATILOVIC-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 24 novembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 12 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 24 novembre 2000 et 12 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2) d’un régime de protection temporaire prévoyant un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée pour autant qu’elle a refusé de faire droit à leur demande d’asile. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation des dispositions de la Convention de Genève.

Ils font exposer à l’appui de leur recours qu’ils sont originaires du Kosovo, de confession musulmane, et qu’ils font partie de la minorité « bochniaque » du Kosovo, laquelle éprouverait à l’heure actuelle les pires difficultés à pouvoir coexister avec la majorité albanaise dans la province du Kosovo. Par référence à différents rapports d’organisations internationales, les demandeurs soutiennent que ce serait de façon inopérante que le ministre a motivé sa décision par le fait que des centaines de milliers de personnes qui avaient quitté le Kosovo y seraient retournées, étant donné que les personnes en question seraient essentiellement des 2 Albanais du Kosovo, lesquels ne sauraient être assimilés à la minorité bochniaque dans le chef desquels un retour au Kosovo serait actuellement hautement déconseillé.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts BATILOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs insistent sur l’incapacité des autorités en place de les protéger contre des persécutions commises par des tiers et font valoir que leur situation particulière, ensemble la situation générale de la minorité bochniaque au Kosovo serait telle que le statut de réfugié politique devrait leur être accordé. Ils se réfèrent plus particulièrement à cet égard à des persécutions dont auraient été victimes des membres de leur famille, ainsi qu’à l’assassinat, malgré la présence des forces onusiennes, d’un nombre important de bochniaques par des membres de la population albanaise sans que les autorités en place n’auraient pu assurer un quelconque niveau de disuasion à l’égard de ceux qui ont perpétré ces actes.

A titre subsidiaire, les demandeurs sollicitent, sur base de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’institution d’une expertise par la nomination d’une organisation non gouvernementale ayant pour objet d’examiner et de dresser un rapport détaillé quant aux traitements réservés aux minorités bochniaques tant par les Albanais que par les Serbes dans la province du Kosovo, ainsi que sur la possibilité ou l’impossibilité pour les forces de la KFOR de protéger ces types de minorités.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité bochniaque du Kosovo, tout en admettant que les persécutions par eux invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Ils estiment néanmoins que leur crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il 3 reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs entendent d’abord établir cette incapacité des autorités en place de leur offrir une protection appropriée en se référant à des pièces qui sont de nature à établir l’existence dans leur pays d’origine d’un climat général d’insécurité particulièrement accentué par rapport aux minorités ethniques, partant également par rapport aux musulmans slaves, dits bochniaques, dont ils font partie.

Il y a cependant lieu de relever, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Il s’ensuit qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, les demandeurs, au-delà de se référer à des événements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, se sont certes également référés à des éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle. Il n’en reste cependant pas moins que les craintes de persécution afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations tenant aux difficultés d’ordre économique susceptibles de se poser en cas de fuite interne, telles que relevées à travers les rapports versés au dossier, étant donné que ces dernières, faute de résulter directement d’une persécution au sens de la Convention de Genève, ne sauraient être utilement prises en considération dans ce contexte.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

4 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13233
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;13233 ?

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