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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13231

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 13231


Tribunal administratif N° 13231 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13231 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc

ats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Ivangrad (Yougoslavie), de nationalité youg...

Tribunal administratif N° 13231 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13231 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Ivangrad (Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 novembre 2000, notifiée en date du 26 janvier 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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En date du 14 septembre 1998, Monsieur … ADROVIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur ADROVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 19 octobre 1999, Monsieur ADROVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 novembre 2000, notifiée le 26 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur ADROVIC de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la crainte d’encourir une peine du chef de désertion par lui invoquée ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que, concernant sa peur liée à sa religion ainsi qu’au fait de son appartenance à la minorité des « bochniaques », il resterait en défaut de faire valoir des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par la même décision, le ministre a relevé que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement, ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime.

A l’encontre de la décision prévisée du 24 novembre 2000, Monsieur AROVIC fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 21 février 2001. Celui-

ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 mars 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 24 novembre 2000 et 8 mars 2001 par requête déposée le 11 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être originaire de Brodarevo au Kosovo, de confession musulmane, ainsi que d’appartenir à la minorité des « bochniaques ». Il reproche aux décisions déférées de ne pas avoir pris en considération la crainte par lui exprimée en raison de son adhésion au parti politique SDA, actuellement prohibé par le régime en place, étant donné qu’il risquerait encore à l’heure actuelle de subir des persécutions de la part des autorités en place, ainsi que des groupes paramilitaires soutenus par ces dernières en raison de ses activités au sein dudit parti lequel prônerait actuellement l’adhésion du Sandzak à la Bosnie. Il conclut encore à la réformation des décisions déférées pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits en reprochant au ministre de ne pas avoir apprécié à leur juste valeur les éléments de son dossier. Il se réfère plus particulièrement à cet égard au fait qu’il a déserté de la réserve au mois d’août 1998 et quitté son pays d’origine en période de guerre, aux motifs qu’il n’aurait pas voulu tuer des gens et que les musulmans auraient risqué en permanence leur vie dans l’armée. Relativement à sa désertion, le demandeur fait encore remarquer que ce comportement ne manquerait pas d’être interprété par les autorités en place comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une conviction politique, alors qu’il aurait déjà été maltraité dans le passé en raison de son adhésion et de ses activités politiques au sein du parti SDA. Il fait valoir en outre 2 qu’en cas de retour dans son pays il ne saurait échapper à des poursuites judiciaires, ainsi qu’à une condamnation pénale militaire d’une sévérité sans doute disproportionnée. Il relève à cet égard que la loi d’amnistie récemment votée par le parlement de la République fédérale yougoslave ne serait pas de nature à garantir sa sécurité, étant donné qu’elle ne s’étendrait qu’aux délits commis entre le 27 avril 1992 et le 7 octobre 2000, et qu’il risquerait partant de ne pas pouvoir entrer dans son champ d’application, alors que l’infraction ayant consisté à refuser d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves serait une infraction continuée selon la législation yougoslave. Le demandeur fait valoir que sa crainte des conséquences de sa désertion ne devrait pas être analysée abstraction faite des autres éléments du dossier, ainsi que de la considération que toute possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave serait impossible dans son chef, étant donné qu’il lui serait impossible de trouver refuge à l’intérieur de son pays, respectivement dans la province du Kosovo, alors qu’il ne parlerait pas la langue albanaise, mais uniquement le serbo-croate en raison de son appartenance à la minorité bochniaque. Il relève finalement que malgré les efforts de l’administration civile mise en place au Kosovo, elle serait impossible de garantir à l’heure actuelle une sécurité suffisante au Kosovo à des individus n’appartenant pas à la communauté albanaise.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les moyens du demandeur se résumeraient en l’expression d’un sentiment général d’insécurité et qu’il resterait en défaut d’établir que, considéré individuellement et concrètement, il risquerait de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane et que tels traitements lui auraient été infligés dans le passé. Quant à sa situation de déserteur, ainsi qu’à sa crainte afférente d’encourir une peine d’une sévérité disproportionnée, le représentant étatique renvoit à la loi d’amnistie adoptée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur en mars 2001, ainsi qu’au fait que d’après les déclarations mêmes d’un représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, il n’y aurait pas de raison de penser que cette loi ne serait pas appliquée aux personnes ayant encore été à l’étranger après le 7 octobre 2000 et n’ayant pas reçu de nouvel appel après cette date. Il estime finalement que le demandeur resterait en défaut de démontrer qu’il serait dans l’impossibilité de retourner ailleurs en République fédérale yougoslave et de profiter ainsi d’une possibilité d’une fuite interne dans son pays d’origine.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur entend illustrer les doutes par lui invoqués relativement à l’application effective de la loi d’amnistie à travers une pièce versée en cause, en l’occurrence une ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje datée au 30 juin 2001, décidant de l’ouverture d’une procédure judiciaire du chef de désertion à l’encontre d’un dénommé HADZAJLIC Nedzad, pour soutenir qu’en dépit des termes de la loi d’amnistie, des poursuites seraient encore engagées contre des personnes ayant déserté même avant le 7 octobre 2000.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que la situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, le demandeur fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre en raison de son appartenance à la minorité bochniaque du Kosovo, tout en concédant que les persécutions par lui invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Il estime néanmoins que la crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements discriminatoires par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er, section A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, le demandeur se réfère essentiellement à des événements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, sans faire état d’éléments particuliers le touchant directement dans sa situation personnelle. Force est encore de constater que les craintes de persécution afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, mais que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations tenant aux difficultés d’ordre économique susceptibles de se poser en cas de fuite interne, étant donné que ces dernières, faute de résulter directement d’une persécution au sens de la Convention de Genève, ne sauraient être utilement prises en considération dans ce contexte.

En outre, concernant le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur ADROVIC, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la 4 paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur ADROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur ADROVIC n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continue et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà, étant entendu par ailleurs que l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie est démentie par le Haut Commissariat pour les Réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes en question (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Agovic, non encore publié).

Force est encore de constater que la pièce invoquée par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, 5 Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13231
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;13231 ?

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