La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13107

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 13107


Numéro 13107 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2001 Audience publique du 7 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … ROVCANIN, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13107 du rôle, déposée le 21 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cou

r, assisté de Maître Caroline ROLLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’...

Numéro 13107 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2001 Audience publique du 7 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … ROVCANIN, Luxembourg contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13107 du rôle, déposée le 21 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, assisté de Maître Caroline ROLLER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ROVCANIN, né le 27 mai 1973 à Prije Polje (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-2230 Luxembourg, 54, rue du Fort Neipperg, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 novembre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2001 par Maître Jean-Georges GREMLING pour compte de Monsieur ROVCANIN;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Monique CLEMENT, en remplacement de Maître Jean-Georges GREMLING, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2001.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 19 octobre 1998, Monsieur … ROVCANIN, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur ROVCANIN fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur ROVCANIN fut entendu en date du 22 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur ROVCANIN, par lettre du 24 novembre 2000, notifiée en date du 31 janvier 2001, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 21 février 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 8 mars 2001, Monsieur ROVCANIN a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle de rejet initiale du 24 novembre 2000 par requête déposée le 21 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait reçu une convocation pour le service militaire, mais qu’il aurait refusé de se présenter, vu qu’il aurait alors été forcé de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le cadre de la guerre au Kosovo et qu’il aurait refusé de tuer des gens innocents. Il fait valoir qu’en raison de son insoumission il risquerait de subir une condamnation pénale pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison et des exactions en cas de retour dans son pays d’origine. Il renvoie encore aux mauvais traitements et aux discriminations auxquelles il serait exposé du fait de son appartenance à la communauté musulmane, étant donné que les habitants musulmans de la cité universitaire de Pristina auraient été battus en 1994 et 1995 en raison de leur religion. Le demandeur relève enfin qu’il n’aurait aucun avenir professionnel dans son pays d’origine et que tous ses amis demeureraient au Luxembourg.

2 Le délégué du Gouvernement rétorque que l’insoumission ne constituerait pas un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et qu’une loi d’amnistie, couvrant ceux ayant commis jusqu’au 7 octobre 2000 le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, a été adoptée par le parlement yougoslave au mois de février 2001, laquelle est entrée en vigueur en mars 2001. Il ajoute que la paix régnerait actuellement dans la région d’origine du demandeur, de manière qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement de son service militaire lui imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Le représentant étatique soutient que la référence par le demandeur à la situation générale dans son pays d’origine et à son appartenance à la communauté musulmane serait insuffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il faudrait également prendre en compte sa situation particulière. Il ajoute qu’il ne serait établi ni qui serait à l’origine des coups reçus à Pristina, invoqués à cet égard par le demandeur, ni qu’ils lui auraient été infligés en raison de sa religion, ces faits n’étant par ailleurs pas d’une gravité suffisante pour fonder une crainte justifiée de persécution.

Le demandeur fait répliquer qu’il faudrait douter de l’application effective de la loi d’amnistie, qu’il aurait par ailleurs eu de justes motifs pour refuser de se présenter à l’armée et qu’un risque de devoir participer à des actions militaires contre son gré subsisterait encore au vu des règlements de comptes ayant toujours lieu au sein de l’armée yougoslave à l’encontre de membres de la communauté musulmane. Il fait valoir que les tensions ethniques et religieuses se seraient aggravées au Monténégro suite à la guerre du Kosovo et que l’appartenance à la population musulmane entraînerait pour chaque membre de nombreuses persécutions du fait de la politique d’épuration ethnique du gouvernement serbe.

Il ajoute que les coups qu’il aurait reçus à Pristina en 1994 et 1995 lui auraient été infligés en raison de son appartenance à une minorité ethnique et de sa religion musulmane.

Le délégué du Gouvernement estime dans son mémoire en duplique que le doute émis par le demandeur quant à l’application effective de la loi d’amnistie yougoslave serait incompatible avec le nouveau régime yougoslave et serait contredit par une prise de position du Haut Commissariat pour les Réfugiés versée au dossier. Il signale en outre que, même si la situation des musulmans au Monténégro est difficile, elle ne serait pas telle que tout musulman du Monténégro aurait raison de craindre d’être exposé à des persécutions de la part des autorités en place ou de tiers du seul fait de sa religion.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 22 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne se trouve point énervée par le moyen du demandeur tiré du défaut d’une application effective de ladite loi d’amnistie, alors que le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés est d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et affirme ne pas avoir eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Agovic, n° 13854C, non encore publié).

Le moyen du demandeur tiré de la situation générale au Monténégro et plus particulièrement d’un risque de représailles et d’autres menaces de la part des autorités serbes constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. En 4 effet, le demandeur a déclaré personnellement lors de son audition qu’il n’avait « pas de problèmes de la sorte » depuis l’année 1995 où il avait été battu ensemble avec les autres habitants musulmans de la cité universitaire de Pristina et qu’il a peur seulement « de la prison et de la sanction » suite à son insoumission.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 7 novembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13107
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;13107 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award