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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13087

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 13087


Tribunal administratif N° 13087 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 7 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … TALEVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13087 du rôle, déposée le 19 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, assistée de Maître Catherine GRAFF, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur … TALEVIC, né le … à Trpezi, Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslav...

Tribunal administratif N° 13087 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 7 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … TALEVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13087 du rôle, déposée le 19 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Véronique DE MEESTER, avocat à la Cour, assistée de Maître Catherine GRAFF, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TALEVIC, né le … à Trpezi, Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000, lui notifiée en date du 19 janvier 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 13 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries.

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Le 19 mai 1999, Monsieur … TALEVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur TALEVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 24 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur TALEVIC, par lettre du 8 novembre 2000, notifiée en date du 19 janvier 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous auriez reçu une convocation à laquelle vous n’auriez pas donné suite, car vous auriez refusé de participer au conflit du Kosovo. Vous auriez peur de la guerre, de la situation politique et des bombardements. Par ailleurs, vous dites ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir personnellement subi des persécutions.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution telle qu’énoncée à la prédite Convention. Par ailleurs, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur TALEVIC en date du 19 février 2001 à l’égard de la décision ministérielle précitée fut rencontré par une décision confirmative du 13 mars 2001.

2 A l’encontre des décisions ministérielles de rejet des 8 novembre 2000 et 13 mars 2001, Monsieur TALEVIC a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 19 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait effectué son service militaire en 1989 à Ohrid en Macédoine, qu’au courant du mois de mai 1999, au début des premiers bombardements au Kosovo, il aurait reçu une convocation pour rejoindre l’armée yougoslave, que refusant d’intégrer l’armée serbe, il se serait caché pendant 10 jours dans son village pour quitter ensuite son pays et rejoindre ses frères installés depuis plusieurs années au Luxembourg. Il soutient craindre « la guerre, les bombardements et la situation politique actuelle en Yougoslavie ».

Il relève encore que même si la paix règne officiellement dans son pays, il n’en demeurerait pas moins que la paix s’avérerait incertaine et que le « pays est dans une phase extrême de criminalité, que la lutte contre le crime organisé est un défi quotidien ». Il estime qu’un retour « décent » dans son pays d’origine ne serait pas possible, étant donné qu’il serait confronté à la menace de violences extrémistes. Il fait valoir que le ministre de la Justice aurait totalement fait abstraction de la situation générale régnant en Yougoslavie, ainsi que de sa situation personnelle résultant du fait qu’il est de confession musulmane, pour soutenir que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur ses craintes de persécutions. Il relève finalement que sa situation personnelle au Luxembourg devrait également être prise en considération pour déterminer s’il était apte à s’intégrer sur le territoire luxembourgeois. A ce titre, il précise que lors d’un accident de voiture ayant eu lieu le 10 février 2001 au Luxembourg, son cousin, auprès duquel il résiderait, ainsi que son frère se seraient tués, que son frère aurait été marié et père de deux enfants et qu’il lui incomberait maintenant de s’occuper de la famille de son frère. Il soutient que le refus de lui accorder le statut de réfugié se heurterait dès lors aux articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En substance, Monsieur TALEVIC reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission et sa religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, sous C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur TALEVIC lors de son audition en date du 24 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur l’insoumission de Monsieur TALEVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur TALEVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont 4 encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Les craintes de persécutions invoquées par le demandeur en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant relevé dans ce contexte que, lors de son audition, il est resté très vague dans ses déclarations et qu’il avait précisé ne pas avoir été persécuté personnellement.

En ce qui concerne le moyen soulevé par le demandeur et tiré d’une prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de constater qu’il n’appartient pas au tribunal administratif d’analyser une éventuelle atteinte portée par le ministre de la Justice au droit du demandeur au respect de sa vie privée et familiale, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître un demandeur d’asile comme réfugié politique au sens de la Convention de Genève. En effet, même à admettre que le demandeur tombe dans le champ d’application de la disposition de droit international précitée, pareille circonstance ne saurait l’autoriser à se voir reconnaître le statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève (cf. trib. adm. 25 mai 2000, Sulejmani, n° 11717, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, n° 66). Ce moyen doit partant être rejeté comme étant étranger à la matière faisant l’objet de la décision ministérielle incriminée.

Finalement concernant le moyen tiré de la violation de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garanti la liberté de religion, force est de constater qu’une persécution pour des raisons religieuses est visée par le champ d’application de l’article 1er section A, 2 de la Convention de Genève. Partant, l’argumentation du demandeur sous ce point est pris en considération au moment de l’examen des critères de reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte qu’un examen à la lumière de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme est superflu.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef.

Partant, le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Malgré l’absence du mandataire du demandeur à l’audience fixée pour les plaidoiries, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite et partant contradictoire à l’égard d’une partie dès le dépôt d’un mémoire par celle-ci.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, 5 au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, Mme Lamesch, juge, Mme. Thomé, juge, et lu à l’audience publique du 7 novembre 2001, par le président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13087
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;13087 ?

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