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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12958

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 12958


Tribunal administratif N° 12958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Madame … MULLER-… contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12958 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2001 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Madame … MULLER-…, …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement ...

Tribunal administratif N° 12958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 février 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Madame … MULLER-… contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12958 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 23 février 2001 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MULLER-…, …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’un bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1991, émis par le bureau d’imposition Luxembourg 2 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes en date du 7 mars 1996 suite au silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes postérieurement à une réclamation introduite auprès de lui en date du 3 avril 1996;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2001 au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin de l’impôt sur le revenu litigieux;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Paulo LOPES DA SILVA, en remplacement de Maître Michel MOLITOR, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 7 mars 1996, le bureau d’imposition Luxembourg 2 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes émit à 1 l’encontre de Madame … MULLER-…, préqualifiée, un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1991.

Contre ledit bulletin, Madame MULLER-… introduisit, par lettre du 3 avril 1996, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, en reprochant au bureau d’imposition que, lors de la fixation du revenu de capitaux mobiliers, il a manqué de tenir compte de l’intégralité des intérêts débiteurs déclarés en relation avec ces revenus.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Madame MULLER-… a introduit le 23 février 2001 un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation du bulletin précité du 7 mars 1996.

Dans son recours, la demanderesse conclut en premier lieu à la nullité du bulletin critiqué au motif qu’avant l’établissement de l’imposition litigieuse, elle n’aurait pas été informée, préalablement à son imposition, par le bureau d’imposition, selon les prescriptions du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », sur les redressements que le bureau entendait opérer par rapport à sa déclaration d’impôt .

En outre, la demanderesse fait soutenir qu’elle remplirait les conditions posées par l’article 105 (1) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », et elle demande la déductibilité des intérêts débiteurs d’un prêt qu’elle a contracté en vue de l’acquisition d’actions d’une société anonyme comme frais d’obtention des revenus provenant de ces titres.

Dans ce contexte, elle critique plus spécialement le fait que les intérêts qui se rapportent à une même dette sont considérés en partie comme des frais d’obtention et pour le reste comme des dépenses spéciales et elle fait soutenir que le bureau d’imposition aurait tort de retenir que le revenu de capitaux mobiliers ne pourrait jamais déclencher de perte et, concernant des intérêts débiteurs, de n’admettre l’excédent des frais d’obtention sur les recettes qu’en tant que dépenses spéciales.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du moyen tiré de la violation du paragraphe 205 alinéa 3 AO. Dans cet ordre d’idées, il soutient que « la violation du § 205 alinéa 3 AO étant un moyen d’annulation et non de réformation la demande fondée sur cette cause [serait] (…) prohibée par l’article 58 de la loi du 21 juin 1999 ».

Ensuite, le délégué du gouvernement admet que ni la lettre ni le système de la loi concernant l’impôt sur le revenu n’appuieraient la proposition selon laquelle les revenus de capitaux mobiliers ne pourraient jamais déclencher de perte et que rien non plus dans la loi ne suggérerait que lorsque les frais d’obtention dépassent les recettes l’excédent puisse changer de nature pour devenir une dépense spéciale.

Sur ce, il soutient qu’il n’en resterait pas moins que les intérêts débiteurs d’un capital emprunté pour acquérir des valeurs mobilières ne constitueraient des frais d’obtention que si la dépense a été faite directement pour acquérir des recettes (article 105 LIR). Or, cette condition ne serait pas remplie en présence d’un placement qui n’a pas pour but de produire des revenus de capitaux, mais de diminuer le revenu imposable. En l’espèce, le poids des intérêts débiteurs aurait dépassé dès le départ le niveau des dividendes qu’il était raisonnable d’espérer d’une 2 holding. Ainsi, la condition de l’article 105 LIR n’aurait pas été remplie et les intérêts débiteurs n’auraient été déductibles uniquement comme dépenses spéciales et le recours laisserait d’être fondé.

Les demandeurs concluent, principalement, à la réformation et, subsidiairement, à l’annulation du bulletin d’impôt litigieux.

Le paragraphe 228 AO, ensemble l’article 8 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ouvrant un recours au fond contre un bulletin de l’impôt sur le revenu, le tribunal est compétent pour connaître de la demande principale tendant à la réformation du bulletin critiqué. Le recours, non autrement critiqué sous ce rapport, est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. -

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation à l’encontre du bulletin prévisé est irrecevable.

S’il est vrai qu’en présence d’une disposition ouvrant un recours en réformation contre une décision, le recours de droit commun en annulation est irrecevable, il n’en reste pas moins qu’aucune disposition légale ou principe ne s’oppose à ce qu’un contribuable puisse invoquer des moyens d’annulation dans le cadre de son recours en réformation, de sorte que le moyen d’irrecevabilité du délégué du gouvernement relativement au moyen d’annulation proposé par la demanderesse en raison d’une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO est à écarter. En outre, ledit moyen d’annulation constituant un simple moyen nouveau et non pas une demande nouvelle, il n’est pas non plus à écarter comme constituant une demande nouvelle non soulevée dans le cadre de la réclamation devant le directeur.

Les questions de procédure étant à analyser avant les questions ayant trait au fond, le tribunal est tout d’abord amené à examiner le moyen invoqué par la demanderesse quant à une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible de fixer une imposition correcte de la situation patrimoniale d’un contribuable (v. Becker, Riewald, Koch: Reichsabgabenordnung, Kommentar, Band II, Carl Heymanns Verlag, 1965, 6.

Das Recht auf Gehör, pages 288 et s.) A cet effet, le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt, ainsi que, par ailleurs, dans le cadre de 3 son devoir de collaboration, tel que défini au paragraphe 171 AO, les informations lui réclamées le cas échéant en vue d’établir les bases d’imposition.

Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt ou encore dans le cadre de son devoir de collaboration, suite à une demande afférente du bureau d’imposition.

En l’espèce, il convient de constater qu’il n’a pas existé de divergence de vues entre le bureau d’imposition et le contribuable au sujet des faits à la base de l’imposition, mais au sujet d’une question de droit relativement à l’interprétation de la loi d’impôt.

En effet, le bureau d’imposition n’a pas remis en cause la situation de fait à la base de l’imposition litigieuse, mais la divergence mise en avant par la demanderesse, tant à travers sa réclamation qu’à travers le recours contentieux sous analyse, porte sur une question de droit, à savoir sur la question de savoir si la déduction d’intérêts débiteurs puisse aboutir à des revenus de capitaux négatifs.

Or, une question d’interprétation et d’application de la loi relève de la compétence du bureau d’imposition en vertu du paragraphe 166 AO.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen de la demanderesse tendant à l’annulation du bulletin déféré pour cause de violation du paragraphe 205 (3) AO n’est pas fondé.

Concernant la question de fond soulevée par la demanderesse, à savoir la déductibilité d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention dans le cadre de la catégorie de revenus de capitaux mobiliers au titre d’un emprunt contracté, l’article 105 (1) LIR considère comme frais d’obtention « les dépenses faites directement en vue d’acquérir, d’assurer et de conserver les recettes ».

Les intérêts débiteurs découlant d’un emprunt servant à l’acquisition de titres d’une société de capitaux sont à qualifier de frais d’obtention dans le cadre de revenus de capitaux mobiliers, dans la mesure où ils ont été déboursés dans le but d’acquérir la source de recettes imposables constituée par des parts d’une société de capitaux.

C’est à juste titre que la demanderesse soutient dans ce cadre que la déduction d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention peut donner lieu à un revenu net de capitaux mobiliers négatif en l’absence de disposition contraire inscrite aux articles 97, 103 ou 105 LIR.

Ceci étant, l’emprunt sous-jacent doit avoir servi au financement de l’acquisition de titres qui sont de nature à dégager des recettes imposables, la relation causale une fois établie n’étant pas rompue par la circonstance que les frais d’obtention dépassent les recettes pour autant qu’au moment de l’engagement des frais la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée (cf. Herrmann-Heuer-Raupach, EStG-Kommentar, § 9, Anm. 375; Schmidt, EStG-

Kommentar, § 20, Anm. 230). En l’absence d’une quelconque restriction légale ou réglementaire afférente, il échet également d’admettre qu’un revenu net négatif dégagé dans la 4 catégorie des revenus de capitaux mobiliers peut être compensé sur base de l’article 7 (2) LIR avec les revenus nets des autres catégories de revenus visées par l’article 10 LIR (cf. trib. adm.

29 mars 1999, n° 10428 du rôle, confirmé par Cour adm.11 janvier 2000, n° 11285 C, Pas adm. 2001, V° Impôts, n° 72 et autre référence y citée).

Sur ce, il convient d’ajouter que le principe de la déductibilité de la dépense déclarée par le contribuable relativement à un emprunt en vue de l’acquisition d’actions d’une société dénommée I. H. S.A. avait été admis par le bureau d’imposition sur base des déclarations et pièces produites par le contribuable, c’est-à-dire que, sur base des éléments d’information à sa disposition, le bureau d’imposition avait admis que le financement de l’acquisition desdits titres était de nature à dégager des recettes imposables, et que la simple mise en cause du principe de cette déductibilité, par le délégué du gouvernement, à défaut de la production d’éléments de preuve concrets ou d’un faisceau d’indices concordants et probants, desquels il se dégage que la dépense du contribuable n’ait pas été effectuée pour acquérir, assurer ou conserver des recettes ne saurait suffire pour remettre en cause ladite déductibilité.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation est fondé.

Etant donné qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire » (cf. doc. parl. 3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc.

parl. 3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5)), son rôle consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt.

En application des développements qui précèdent, il y a en conséquence lieu de renvoyer l’affaire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes afin qu’il soit procédé à l’imposition du contribuable relativement à l’année 1991 conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.

Enfin, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 50.000.-

francs formulée par la demanderesse est à rejeter comme n’étant pas fondée étant donné que les conditions légales afférentes ne sont pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

le dit également fondé et, par réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1991, dit que l’intégralité des intérêts débiteurs déclarés par la demanderesse en relation avec son revenu de capitaux mobiliers est déductible en tant que frais d’obtention au titre de l’année 1991, conformément aux motifs énoncés dans le corps du présent jugement;

5 renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 7 novembre 2001, par le premier juge, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12958
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;12958 ?

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