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07/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12789

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 novembre 2001, 12789


Tribunal administratif N° 12789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BECKER contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12789 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2001 par Monsieur … BECKER, demeurant à L-…, introduisant un recours en réformation contre le bulletin de l’

impôt sur le revenu de l’année 1994, émis par le bureau d’imposition Luxembourg 6 de la section des person...

Tribunal administratif N° 12789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 janvier 2001 Audience publique du 7 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BECKER contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12789 et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2001 par Monsieur … BECKER, demeurant à L-…, introduisant un recours en réformation contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1994, émis par le bureau d’imposition Luxembourg 6 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes en date du 28 janvier 1999, suite au silence gardé par le directeur de l’administration des Contributions directes postérieurement à une réclamation introduite auprès de lui en date du 6 avril 1999;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … BECKER;

Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin de l’impôt sur le revenu litigieux;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Michel MOLITOR et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 janvier 1999, le bureau d’imposition Luxembourg 6 de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de Monsieur … BECKER un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1994.

1 Contre ledit bulletin, Monsieur BECKER introduisit, par lettre du 6 avril 1999, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, en reprochant au bureau d’imposition que, lors de la fixation du revenu de capitaux mobiliers, il a manqué de tenir compte de l’intégralité des intérêts débiteurs déclarés en relation avec ces revenus.

En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur BECKER a introduit le 17 janvier 2001 un recours en réformation contre le bulletin précité du 28 janvier 1999.

Dans son recours, le demandeur conclut en premier lieu à la nullité du bulletin entrepris au motif qu’avant l’établissement de l’imposition litigieuse, il n’aurait pas été informé, préalablement à son imposition, par le bureau d’imposition, selon les prescriptions du paragraphe 205 alinéa 3 de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », sur les redressements que le bureau entendait opérer par rapport à sa déclaration d’impôt .

En outre, le demandeur soutient remplir les conditions posées par l’article 105 (1) de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », et il demande la déductibilité des intérêts débiteurs d’un prêt hypothécaire qu’il a contracté en vue de l’acquisition d’actions d’une société anonyme comme frais d’obtention des revenus provenant de ces titres.

Dans ce contexte, il critique plus spécialement le fait que les intérêts qui se rapportent à une même dette sont considérés en partie comme des frais d’obtention et pour le reste comme des dépenses spéciales et il soutient que le bureau d’imposition aurait tort de retenir que le revenu de capitaux mobiliers ne pourrait jamais déclencher de perte et, concernant des intérêts débiteurs, de n’admettre l’excédent des frais d’obtention sur les recettes qu’en tant que dépenses spéciales.

Le délégué du gouvernement conclut au non-fondé du moyen tiré de la violation du paragraphe 205 alinéa 3 AO. Il soutient que « la prétention que le bureau d’imposition qui estime, à tort ou à raison, que la déduction d’intérêts ne peut aboutir à des revenus de capitaux négatifs, aurait dû prendre l’avis du contribuable avant de décider n’est pas appuyée par la lettre ou l’esprit du § 205 alinéa 3 AO et, du point de vue d’une bonne administration de l’impôt, revendique au profit d’un professionnel des chiffres un formalisme de la pire espèce ».

Au fond, le délégué soutient que la dépense effectuée par le contribuable s’analyserait en une opération en capital et ne saurait avoir une répercussion sur l’impôt sur le revenu. Pour arriver à cette conclusion, le délégué se fonde sur ce que la déductibilité des intérêts serait conditionnée par le fait que la dépense ait été faite pour acquérir, assurer ou conserver des recettes et que tel ne serait pas le cas en l’espèce, au motif que le taux d’intérêt du prêt aurait entraîné, dès le départ, une somme annuelle d’intérêts « sans commune mesure avec le montant des dividendes que la société peut, selon toutes prévisions, distribuer ».

Le recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi et non autrement contesté sous ce rapport, il est recevable.

2 Les questions de procédure étant à analyser avant les questions ayant trait au fond, le tribunal est tout d’abord amené à examiner le moyen invoqué par le demandeur quant à une prétendue violation du paragraphe 205, alinéa 3 AO.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».

Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.

Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible de fixer une imposition correcte de la situation patrimoniale d’un contribuable (v. Becker, Riewald, Koch: Reichsabgabenordnung, Kommentar, Band II, Carl Heymanns Verlag, 1965, 6.

Das Recht auf Gehör, pages 288 et s.) A cet effet, le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt, ainsi que, par ailleurs, dans le cadre de son devoir de collaboration, tel que défini au paragraphe 171 AO, les informations lui réclamées le cas échéant en vue d’établir les bases d’imposition.

Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt ou encore dans le cadre de son devoir de collaboration, suite à une demande afférente du bureau d’imposition.

En l’espèce, il convient de constater qu’il n’a pas existé de divergence de vues entre le bureau d’imposition et le contribuable au sujet des faits à la base de l’imposition, mais au sujet d’une question de droit relativement à l’interprétation de la loi d’impôt.

En effet, le bureau d’imposition n’a pas remis en cause la situation de fait à la base de l’imposition litigieuse, mais la divergence mise en avant par le demandeur, tant à travers sa réclamation qu’à travers le recours contentieux sous analyse, porte sur une question de droit, à savoir sur la question de savoir si la déduction d’intérêts débiteurs puisse aboutir à des revenus de capitaux négatifs.

Or, une question d’interprétation et d’application de la loi relève de la compétence du bureau d’imposition en vertu du paragraphe 166 AO.

3 Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen du demandeur tendant à l’annulation du bulletin déféré pour cause de violation du paragraphe 205 (3) AO n’est pas fondé.

Concernant la question de fond soulevée par le demandeur, à savoir la déductibilité d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention dans le cadre de la catégorie de revenus de capitaux mobiliers au titre d’un emprunt contracté, l’article 105 (1) LIR considère comme frais d’obtention « les dépenses faites directement en vue d’acquérir, d’assurer et de conserver les recettes ».

Les intérêts débiteurs découlant d’un emprunt servant à l’acquisition de titres d’une société de capitaux sont à qualifier de frais d’obtention dans le cadre de revenus de capitaux mobiliers, dans la mesure où ils ont été déboursés dans le but d’acquérir la source de recettes imposables constituée par des parts d’une société de capitaux.

C’est à juste titre que le demandeur soutient dans ce cadre que la déduction d’intérêts débiteurs en tant que frais d’obtention peut donner lieu à un revenu net de capitaux mobiliers négatif en l’absence de disposition contraire inscrite aux articles 97, 103 ou 105 LIR. Ceci étant, l’emprunt sous-jacent doit avoir servi au financement de l’acquisition de titres qui sont de nature à dégager des recettes imposables, la relation causale une fois établie n’étant pas rompue par la circonstance que les frais d’obtention dépassent les recettes pour autant qu’au moment de l’engagement des frais la réalisation de recettes positives peut être raisonnablement escomptée (cf. Herrmann-Heuer-Raupach, EStG-Kommentar, § 9, Anm. 375; Schmidt, EStG-

Kommentar, § 20, Anm. 230). En l’absence d’une quelconque restriction légale ou réglementaire afférente, il échet également d’admettre qu’un revenu net négatif dégagé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers peut être compensé sur base de l’article 7 (2) LIR avec les revenus nets des autres catégories de revenus visées par l’article 10 LIR (cf. trib. adm.

29 mars 1999, n° 10428 du rôle, confirmé par Cour adm.11 janvier 2000, n° 11285 C, Pas adm. 2001, V° Impôts, n° 72 et autre référence y citée).

Sur ce, il convient d’ajouter que le principe de la déductibilité de la dépense déclarée par le contribuable relativement à un emprunt en vue de l’acquisition d’actions d’une société dénommée I. H. S.A. avait été admis par le bureau d’imposition sur base des déclarations et pièces produites par le contribuable, c’est-à-dire que, sur base des éléments d’information à sa disposition, le bureau d’imposition avait admis que le financement de l’acquisition desdits titres était de nature à dégager des recettes imposables, et que la simple mise en cause du principe de cette déductibilité, par le délégué du gouvernement, à défaut de la production d’éléments de preuve concrets ou d’un faisceau d’indices concordants et probants, desquels il se dégage que la dépense du contribuable n’ait pas été effectuée pour acquérir, assurer ou conserver des recettes ne saurait suffire pour remettre en cause ladite déductibilité.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation est fondé.

Etant donné qu’il était dans l’intention du législateur de ne pas faire du tribunal un « taxateur » et de ne pas l’amener à « s’immiscer dans le domaine de l’administration » sous peine de « compromettre son statut judiciaire » (cf. doc. parl. 3940A2, p. 11, ad (3) 8. et doc.

parl. 3940A4, avis complémentaire du Conseil d’Etat, p. 7, ad amendement 5)), son rôle consiste à dégager les règles de droit et à opérer les qualifications nécessaires à l’application 4 utile de la législation fiscale, sans pour autant porter sur l’intégralité de l’imposition, ni aboutir à fixer nécessairement une nouvelle cote d’impôt.

En application des développements qui précèdent, il y a en conséquence lieu de renvoyer l’affaire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes afin qu’il soit procédé à l’imposition du contribuable relativement à l’année 1994 conformément au dispositif du présent jugement ensemble les motifs à sa base.

Enfin, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un import de 50.000.-

francs formulée par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondée étant donné que les conditions légales afférentes ne sont pas remplies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

le dit également fondé et, par réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 1994, dit que l’intégralité des intérêts débiteurs déclarés par le demandeur en relation avec son revenu de capitaux mobiliers est déductible en tant que frais d’obtention au titre de l’année 1994, conformément aux motifs énoncés dans le corps du présent jugement;

renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes pour prosécution;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge Mme. Lamesch, juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 7 novembre 2001, par le premier juge, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12789
Date de la décision : 07/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-07;12789 ?

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