Tribunal administratif N° 13072 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2001 Audience publique du 5 novembre 2001
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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13072 du rôle et déposée le 16 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Niksik (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l'annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries.
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Le 11 octobre 1999, Monsieur … AGOVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi que sur son identité.
Le lendemain, il fut en outre entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 9 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice l'informa de ce que sa demande avait été rejetée. La décision souligne que ni le fait de prendre la fuite pour se soustraire à ses obligations militaires, ni la condamnation alléguée pour un délit de droit commun, ne sauraient justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par requête déposée le 16 mars 2001, Monsieur AGOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l'annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 9 janvier 2001.
Le tribunal administratif étant compétent, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile;
2) d’un régime de protection temporaire, de statuer comme juge du fond en matière de demandes d'asile déclarées non fondées, et le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Par conséquent, le recours en annulation, introduit en ordre subsidiaire, est irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq mois à cause d'une rixe avec un professeur d'éducation physique d'origine serbe, alors qu'il appartient à la communauté musulmane, et que c'est en raison de cette différence d'appartenance ethnique qu'il a été sévèrement puni pour un fait somme toute banal. Il estime dès lors qu'il a fait l'objet d'une discrimination raciste, qui constitue un motif de crainte légitime pour quitter son pays et requérir le statut de réfugié.
Le recours ne reprend pas un autre motif de fuite avancé par Monsieur AGOVIC tant devant la police judiciaire que devant l'agent du ministère de la Justice, à savoir la volonté de se soustraire à une convocation pour accomplir le service militaire, à laquelle il a déclaré ne pas vouloir donner suite, étant donné qu'il ne désirait pas participer à la guerre, ni subir une peine d'emprisonnement pour insoumission d'une durée disproportionnée.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur AGOVIC, de sorte que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur AGOVIC lors de son audition, telle que celle-ci a été relaté dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
A défaut d'explications plus concrètes et circonstanciées, la condamnation à un emprisonnement de cinq mois que Monsieur AGOVIC a essuyée en raison d'une rixe avec un professeur d'éducation physique ne témoigne pas, en elle-même, d'une attitude raciste des autorités judiciaires à son égard. Il s'agit, à défaut d'autres éléments, d'un délit de droit commun – le fait de porter des coups à son professeur – qui peut, selon la gravité des faits, emporter la peine que le demandeur a effectivement encourue. Le seul fait de ne pas vouloir purger une peine d'emprisonnement encourue pour une infraction de droit commun ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 5 novembre 2001 par:
M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, Mme Lamesch, juge, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani