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05/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13067

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 novembre 2001, 13067


Tribunal administratif N° 13067 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2001 Audience publique du 5 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BABOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13067 du rôle, déposée le 15 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat Ã

  la Cour, assisté de Maître Mike ERNIQUIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des...

Tribunal administratif N° 13067 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mars 2001 Audience publique du 5 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … BABOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13067 du rôle, déposée le 15 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, assisté de Maître Mike ERNIQUIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BABOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 décembre 2000, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries.

Le 16 juin 1999, Monsieur … BABOVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-

York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur BABOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

1 Il fut ensuite entendu en date du 1er octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 décembre 2000, notifiée le 15 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur BABOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers la Bosnie, la Slovénie, l’Autriche et l’Allemagne pour arriver au Luxembourg.

Vous exposez qu’un ami de votre père, travaillant auprès du district militaire de Berane aurait prévenu ce dernier que vous seriez sur la liste de mobilisation. Vous n’avez pas reçu de convocation écrite pour faire la réserve militaire.

Vous indiquez ne pas avoir voulu tuer des gens innocents et que vous aviez peur de vous faire tuer vous-même. Selon vos opinions, vous risqueriez une peine d’emprisonnement.

Vous déclarez avoir quitté la Yougoslavie à cause de la situation politique et de la guerre.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité.

Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à 2 l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 15 mars 2001, Monsieur BABOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 12 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. -Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, qu’il aurait été convoqué par l’armée fédérale pour la réserve militaire et pour participer à la guerre mais qu’il ne se serait pas présenté dès lors qu’un ami de son père aurait prévenu celui-ci du fait qu’il serait sur la liste de mobilisation. Il fait ajouter que la situation générale dans son pays d’origine serait incertaine, qu’il aurait également fui son pays d’origine en raison de ses opinions politiques et philosophiques et qu’il aurait subi régulièrement et constamment des violences tant physiques que morales. En droit, il conclut à la réformation la décision ministérielle pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits en rapport avec son insoumission et la situation générale de son pays d’origine, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique. Il invoque encore la violation de l’article 11 (2) et de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirmant que « nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui au moment où elles ont été commises ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international » respectivement que « ladite déclaration permet à tout individu de pouvoir exprimer librement ses opinions ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur BABOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Pour le surplus, le représentant étatique estime que la référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme ne serait pas pertinente, étant donné que l’on se trouve dans le cadre d’une procédure réglementée par la Convention de Genève.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de 3 cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur BABOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BABOVIC lors de son audition du 1er octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif que le demandeur fait valoir, fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur BABOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BABOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont 4 encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Ensuite concernant les prétendues violences subies par le demandeur ainsi que les prétendues persécutions en raison de ses opinions politiques et philosophiques, ces allégations, à les supposer vraies, sont insuffisantes pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé dans son pays d’origine.

Finalement, c’est à juste titre que le représentant étatique estime que l’invocation de la Déclaration universelle des droits de l’homme n’est pas pertinente. En effet, le simple fait de tomber dans le champ d’application de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié de politique. L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 5 novembre 2001 par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, Mme Lamesch, juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13067
Date de la décision : 05/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-05;13067 ?

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