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31/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13061

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 octobre 2001, 13061


Tribunal administratif N° 13061 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2001 Audience publique du 31 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … KOZAR, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13061 du rôle, déposée le 14 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Co

ur, assisté de Maître Sandra MATHES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 13061 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 mars 2001 Audience publique du 31 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … KOZAR, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13061 du rôle, déposée le 14 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Arsène KRONSHAGEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra MATHES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOZAR, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 8 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Arsène KRONSHAGEN déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Sandra MATHES, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 juin 1999, Monsieur … KOZAR, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur KOZAR fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Monsieur KOZAR fut entendu en dates des 7 juin et 8 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 8 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur KOZAR de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en avril 1999 pour vous rendre en Bosnie, puis en Croatie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en passant par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Vous êtes arrivé le 7 juin 1999 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire le service militaire en mars 1999 auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous dites risquer d’être condamné par le tribunal militaire. Vous voudriez par ailleurs rester au Luxembourg jusqu’à ce que la situation se calme dans votre pays d’origine. Enfin, vous dites ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une telle crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par requête déposée en date du 14 mars 2001, Monsieur KOZAR a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 8 janvier 2001.

2 Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait fui son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait été appelé à plusieurs reprises pour effectuer son service militaire et pour la dernière fois en date du 18 mars 1999, que son insoumission serait motivée par le fait « qu’il ne pouvait quand même pas se battre contre l’OTAN, c’est-à-dire tout le monde » et que partant il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire. Il fait ajouter que la loi d’amnistie adoptée par le parlement de la République Fédérale Yougoslave en date du 26 février 2001 ne s’appliquerait pas à son cas en raison de son départ à l’étranger, que l’insoumission au service militaire constituerait un délit « continué » et qu’il n’aurait pu régulariser son statut en temps utile dans son pays d’origine devant un organe compétent de la République Fédérale Yougoslave. Dans ce contexte le demandeur fait encore exposer qu’il aurait d’ailleurs reçu une nouvelle convocation à l’armée en date du 9 mars 2000.

En droit, le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle pour erreur d’appréciation des faits. Le demandeur fait encore valoir la violation de l’article 11 (2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui prévoit que nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui au moment où elles ont été commises ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international, et la violation de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme consacrant la liberté d’opinion.

Le représentant étatique soutient que la référence aux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme ne serait pas pertinente et que le litige devrait être toisé à la seule lumière des articles de la Convention de Genève. Le représentant étatique soutient encore que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KOZAR et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été 3 telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur KOZAR.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KOZAR lors de ses auditions en dates des 7 juin et 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif soulevé par le demandeur tiré de son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KOZAR risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KOZAR n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit « continué » et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits dont on connaîtrait la date exacte à laquelle ils ont été commis respectivement pour les insoumis qui auraient pu se présenter devant un organe compétent pour régulariser leur situation, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large 4 application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Durakovic, n° 13853C du rôle).

Enfin, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Finalement, concernant le moyen tiré de la prétendue violation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il convient de rappeler que le simple fait de tomber dans le champ d’application de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique. Ce principe général doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève (trib. adm.

15 juillet 1998, Elashani, n° 10654 du rôle, confirmé par arrêt du 20 février 2001, n° 10844C, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 3).

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge 5 M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 31 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13061
Date de la décision : 31/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-31;13061 ?

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