Tribunal administratif N° 13004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2001 Audience publique du 31 octobre 2001
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Recours formé par Monsieur … HARIZI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13004 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Martine SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Nadine BASTIAN, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HARIZI, né le … à Bulqis, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 décembre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 7 février 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Nadine BASTIAN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 5 août 1999, Monsieur … HARIZI, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur HARIZI fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son 1 identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 28 août 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 21 décembre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur HARIZI de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez avoir pris la fuite à cause de l’armée. Vous auriez à nouveau été appelé, alors que vous aviez déjà accompli votre service militaire. Vous auriez reçu un appel deux semaines avant votre fuite.
Vous expliquez qu’une procédure pénale aurait été ouverte à votre encontre parce que vous auriez déserté en février 1997. Vous auriez peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement en raison de votre désertion.
Vous indiquez qu’il n’y aurait pas de moyens de subsistance en Albanie et que vous auriez peur de vous faire tuer par les socialistes. La police socialiste aurait mis des lettres anonymes sous votre porte. En fait vous ignorez cependant qui est l’auteur de ces lettres anonymes dans lesquelles on vous aurait reproché d’avoir tué des gens.
Vous déclarez encore que la vie n’est pas sûre en Albanie.
Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.
En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation en Albanie. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par ailleurs, la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie, qu’il y a notamment eu un rapprochement entre le parti démocratique et le parti socialiste au courant de l’année 1999.
Il ne ressort pas de vos déclarations pour quelles raisons vous auriez peur des socialistes étant donné que vous n’étiez pas membre d’un parti politique et que vous n’aviez pas d’activités politiques.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
2 Par courrier de son mandataire datant du 26 janvier 2001, Monsieur HARIZI a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 21 décembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 7 février 2001, il a fait introduire un recours contentieux par requête déposée le 6 mars 2001 tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 21 décembre 2000 et 7 février 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.
Il expose plus particulièrement qu’il aurait déserté de l’armée albanaise en date du 9 mars 1997 et, craignant qu’il ferait l’objet de poursuites à cause de cette désertion, il aurait décidé de quitter son pays. Il soutient qu’actuellement une procédure pénale serait ouverte contre lui pour désertion et qu’il serait donc passible de la « Cour martiale ».
Il fait encore valoir qu’il aurait reçu des lettres anonymes par la « police socialiste », qui auraient contenues des menaces de mort à son égard et qui l’auraient accusées à tort d’avoir participé à la « répression sanglante des révoltes et tumultes suites à l’effondrement du système financier albanais ». Il soutient en outre que le parti socialiste lui aurait demandé de fournir les noms des personnes qui auraient participées à ces massacres. Il relève finalement que sa maison aurait été fouillée pendant son absence par l’armée albanaise.
En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec sa désertion, ainsi que la situation générale d’insécurité régnant en Albanie qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur HARIZI et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des 3 demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur HARIZI lors de son audition du 28 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, la désertion, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi que la condamnation que Monsieur HARIZI risque d’encourir le cas échéant en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la peine afférente soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.
Concernant la perquisition qui aurait été effectuée au domicile du demandeur à cause de sa désertion de l’armée, ce fait – à le supposer établi - n’est pas d’une gravité telle qu’il serait de nature à rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine et ne dénote pas une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées à l’article 1er de la Convention de Genève.
Concernant finalement le fait qu’il aurait reçu des menaces de mort et des lettres anonymes du parti socialiste - outre le fait que ces affirmations sont restées à l’état de pure allégation -, il y a lieu de retenir que lors de son audition, Monsieur HARIZI a déclaré qu’il aurait été persécuté à cause de sa désertion. Interrogé sur la question de savoir comment il a pu vivre tranquillement pendant 2 ans et demi après sa désertion dans son pays d’origine, il a répondu qu’il aurait eu des problèmes, notamment que des lettres anonymes lui auraient été mises sous la porte, qu’on lui aurait demandé de l’argent et de quitter le pays, qu’il aurait ignoré de qui ces menaces provenaient mais qu’il aurait supposé qu’elles émaneraient du parti socialiste.
4 Force est de retenir que le demandeur ignore lui-même qui lui a adressé les prédites menaces, de sorte qu’il n’est pas établi que ces menaces sont imputables aux autorités de son pays d’origine. En outre, l’affirmation du demandeur qu’il aurait éventuellement été persécuté par le parti socialiste est invraisemblable étant donné qu’il n’était pas membre d’un parti politique et qu’il n’a jamais eu des activités politiques en Albanie. Par ailleurs, même à supposer les prédites menaces établies, il convient de retenir que le demandeur reste en défaut de fournir le moindre élément ou explication cohérents qui documenteraient qu’il s’agirait effectivement de menaces motivées par des considérations politiques et qui ne s’inséreraient dès lors pas dans un cadre de criminalité de droit commun.
Il découle des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas prouvé qu’il a effectivement été persécuté et même au cas où il aurait reçu des menaces et lettres anonymes, il reste en défaut d’établir qu’il s’agit d’une persécution au sens de la Convention de Genève.
Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;
le déclare également recevable en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 31 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Campill 5