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31/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12972

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 octobre 2001, 12972


Tribunal administratif N° 12972 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 31 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SIJARIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12972 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SIJARIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougos...

Tribunal administratif N° 12972 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 février 2001 Audience publique du 31 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SIJARIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12972 et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SIJARIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 octobre 2000, notifiée le 18 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 23 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 10 mai 1999, M. … SIJARIC et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-

mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux SIJARIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux SIJARIC-… furent entendus séparément en date du 12 août 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile. M. SIJARIC fit encore l’objet d’une audition complémentaire en date du 16 août 1999.

Par décision du 24 octobre 2000, notifiée le 18 décembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux SIJARIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Bijelo Polje environ huit jours avant d’arriver au Luxembourg pour aller à Sarajevo. Là, vous avez pris place dans une camionnette qui vous a conduits à Kladusa et vous avez franchi la frontière croate à pied. Après avoir effectué un second trajet en camionnette et à pied, vous êtes montés dans une voiture qui vous a conduits au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre itinéraire.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire à Travnik et Banja Luka / Bosnie-Herzégovine en 1977/1978. Vous auriez été appelé à la réserve fin mars 1999. La convocation serait arrivée sur votre lieu de travail. Vous ne vous y seriez pas rendu car le parti SDA, auquel vous adhérez, avait donné pour consigne de ne pas participer à la réserve. Vous ajoutez qu’en tant que militant de ce parti, vous auriez été maltraité à l’armée.

Les sanctions pour insoumission seraient d’ailleurs également plus graves pour les membres du SDA que pour les autres déserteurs.

Vous dites être membre du parti SDA depuis 1990 et être politiquement très actif.

Vous dites avoir eu d’abord des responsabilités au niveau communal et, depuis 1998, avoir fait partie de nombreuses commissions au niveau de la république du Monténégro. Vous ajoutez avoir été proposé comme candidat aux élections. Vous précisez que vous évitiez d’avoir à faire à la police pour échapper à des interrogatoires que vous qualifiez de « musclés ». A plusieurs reprises, sur votre lieu de travail, les adversaires de votre parti ont exercé des pressions sur vous pour que vous renonciez à vos activités politiques.

Vous expliquez que la situation dans votre pays est confuse, et que, même les musulmans peuvent être de partis différents. Même si vous reconnaissez n’avoir pas été personnellement maltraité, vous dites avoir peur du régime politique et des Serbes. Vous affirmez que la guerre menace au Monténégro et que les musulmans ont déserté les postes qu’ils occupaient dans l’Administration pour se lancer dans le secteur privé, plus lucratif, ce qui envenime les rapports entre musulmans et orthodoxes.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate que vous reconnaissez vous-même que le dirigeant DJUKANOVIC est arrivé à calmer la situation face au pouvoir serbe.

Je dois donc conclure de ce qui précède que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. En effet, une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 18 janvier 2001, les époux SIJARIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 octobre 2000.

Par décision du 23 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 26 février 2001, les époux SIJARIC-…, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 24 octobre 2000 et 23 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que les musulmans constitueraient une minorité au Monténégro et que, même à l’heure actuelle, les membres de cette minorité seraient discriminés et auraient des relations conflictuelles avec les Serbes, que leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions, d’une part, en raison de l’insoumission de M.

SIJARIC, qui, ayant été appelé par l’armée fédérale pour participer à la guerre au Kosovo, aurait refusé de donner une suite à cet appel au motif qu’il n’aurait pas voulu participer à une guerre qu’il juge contraire à ses convictions politiques et religieuses, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction et, d’autre part, en raison des activités et fonctions politiques 3 importantes de M. SIJARIC au sein du « SDA », notamment en vue de l’indépendance du Sandjak.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission, les activités politiques de M.

SIJARIC, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux SIJARIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux SIJARIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SIJARIC-… lors de leurs auditions respectives en date des 12 et 16 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de M. SIJARIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des 4 demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

SIJARIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

SIJARIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion n’est pas énervée par les pièces déposées par le mandataire des demandeurs lors des plaidoiries, à savoir une ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad HADZAJLIC et les documents visant un dénommé Misin RASTODER, lesquels ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisant pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Durakovic, n° 13853C du rôle).

Concernant les craintes de persécutions en raison des activités politiques de M.

SIJARIC, s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il y a lieu de constater que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison des activités et fonctions de M. SIJARIC au sein du parti « SDA ». Dans ce contexte, il convient de relever que dans ses déclarations initiales, questionné au sujet de persécutions subies personnellement, il a déclaré qu’il n’avait jamais été battu. Il y a encore déclaré ne pas avoir été incarcéré avec ou sans jugement, mais qu’il aurait dû « se cacher et se tenir à l’écart de troubles pour qu’on ne court pas le risque d’être emmené au poste pour une raison banale et d’être ensuite interrogé de façon musclée sur le parti (…)», de sorte que les craintes des demandeurs constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils aient démontré que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro.

5 Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 31 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12972
Date de la décision : 31/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-31;12972 ?

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