Tribunal administratif N° 12942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 février 2001 Audience publique du 31 octobre 2001
==============================
Recours formé par Madame … CELEBIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
-------------------------------
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12942 et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme … CELEBIC-…, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), agissant pour elle-même, ainsi qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 novembre 2000, notifiée le 15 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 janvier 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
---
En date du 26 septembre 2000, Mme … CELEBIC-…, préqualifiée, agissant pour elle-
même, ainsi qu’en nom et pour compte de ses enfants mineurs … et …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Mme CELEBIC-… fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
1 Mme CELEBIC-… fut entendue en date du 4 octobre 2000 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 22 novembre 2000, notifiée le 15 décembre 2000, le ministre de la Justice informa Mme CELEBIC-… de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’en date du 23 septembre 2000 vous avez quitté, en compagnie de vos enfants, Bijelo Polje dans une voiture de couleur rouge.
Vous ne pouvez donner aucun renseignement sur le chemin emprunté. Vous êtes arrivés au Luxembourg le 25 septembre 2000 vers 20.00 heures.
Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.
Vous exposez que vous êtes venue au Luxembourg pour rejoindre votre mari. Vous déclarez également que vous aviez peur parce que des gens venaient taper contre votre porte la nuit. Vous dites que vous ne savez pas de qui il s’agissait.
Vous déclarez que vous avez quitté votre pays également en raison de la mauvaise situation.
Il résulte par ailleurs de vos déclarations, que vous n’êtes pas membre d’un parti politique et que vous n’avez pas d’opinions politiques.
La reconnaissance du statut de réfugié n’est uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Or il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutée dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par lettre datée du 1er janvier 2001, Mme CELEBIC-… introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 novembre 2000.
Par décision du 19 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
2 Par requête déposée en date du 20 février 2001, Mme CELEBIC-… a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 22 novembre 2000 et 19 janvier 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle est originaire du Monténégro et de confession musulmane, que son départ « était principalement motivé par le fait qu’elle a décidé de venir retrouver son époux au Luxembourg, lequel a lui-même présenté une demande en obtention d’asile politique » et parce que « souvent des gens sont venus la nuit et ils ont tapé contre la porte ». Elle précise en outre qu’elle ne savait pas « de qui il s’agissait », en ajoutant qu’« ils me demandaient d’ouvrir la porte. Ils m’ont pas dit pourquoi. J’avais très peur ». Elle déclare encore que son époux, M. … CELEBIC aurait refusé d’être intégré dans les forces armées yougoslaves et qu’en tant qu’épouse d’un insoumis, « il est raisonnable à craindre que les personnes qui [l’]ont harcelé (…) à un moment où elle s’est trouvée seule au Monténégro [ont] (…) cherché à se venger sur sa personne du fait du comportement de son époux ». Ainsi, faute de trouver une protection auprès des autorités yougoslaves, qui n’auraient pas « une réelle capacité sinon volonté d’y remédier », elle remplirait les conditions légales en vue de la reconnaissance du statut de réfugié.
En droit, la demanderesse conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou pour erreur d’appréciation des faits.
En substance, elle reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de son époux, son appartenance à la religion musulmane et la situation générale des musulmans au Monténégro, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Mme CELEBIC-… et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été 3 telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme CELEBIC-….
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Mme CELEBIC-… lors de son audition en date du 4 octobre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de son époux, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder ni dans le chef de l’intéressé ni a fortiori dans celui des membres de sa famille, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.
En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que l’époux de la demanderesse risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, il n’est pas établi en l’espèce, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.
Cette conclusion n’est pas énervée par les pièces déposées par le mandataire de la demanderesse lors des plaidoiries, à savoir une ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad HADZAJLIC et les documents visant un dénommé Misin RASTODER, lesquels ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations 4 Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Durakovic, n° 13853C du rôle).
Enfin, les craintes de persécutions de la demanderesse en raison de sa confession musulmane et du fait qu’elle ait été importunée pendant la nuit par des inconnus constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, étant remarqué que les harcèlements par elle allégués ne sont pas de nature à lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine alors qu’elle ne démontre pas que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro et qu’elle n’allègue même pas avoir essayé de rechercher la protection desdites autorités.
Il ressort de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 31 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
Legille Schockweiler 5