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25/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13010

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2001, 13010


Tribunal administratif N° 13010 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2001 Audience publique du 25 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … SAKO, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13010 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Monsieur … SAKO, né le … à Durres, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à ...

Tribunal administratif N° 13010 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 mars 2001 Audience publique du 25 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … SAKO, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13010 et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2001 par Maître Marc MODERT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SAKO, né le … à Durres, de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2001, notifiée le 9 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MODERT, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 janvier 1999, Monsieur … SAKO, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur SAKO fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 15 mai 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

1 Par décision du 5 janvier 2001, notifiée le 9 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur SAKO de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que votre père aurait été membre du parti démocratique. Il aurait été tué le 20 octobre 1998 en raison de ses activités politiques.

Vous expliquez que votre famille aurait toujours été maltraitée par le gouvernement.

Quelques jours avant votre fuite, des inconnus vous auraient tiré dessus.

Vous indiquez que l’Albanie serait un pays sans loi.

Force est cependant de constater que la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie, qu’il y a notamment eu un rapprochement entre le parti démocratique et le parti socialiste au courant de l’année 1999. Une persécution systématique de membres de l’opposition de la part du régime actuellement en place est à exclure.

De même, la police albanaise s’efforce actuellement avec succès de combattre la criminalité qui avait étranglé le pays depuis les émeutes de l’année 1997. Ce combat s’effectue dans un cadre de stricte neutralité politique.

Il ne ressort pas de vos déclarations que le décès de votre père ait été un acte avec un arrière fond politique. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un acte de criminalité de droit commun. Vous n’expliquez pas dans quelle mesure votre père aurait été particulièrement exposé en raison de ses activités politiques.

Par ailleurs, les événements qui se sont passés juste avant votre fuite pourraient également s’inscrire dans un cadre de criminalité de droit commun.

Même si votre famille a été persécutée sous l’ancien régime communiste, cela n’engendre pas automatiquement des persécutions de la part du gouvernement actuellement en place.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 6 mars 2001, Monsieur SAKO a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est 2 compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il appartiendrait à la minorité des musulmans, que lui, les membres de sa famille, ainsi que ses coreligionnaires musulmans, seraient traités par la majorité de la population albanaise comme « sujet indésirable dont la loyauté est suspecte », que la situation en Albanie serait toujours chaotique et que le gouvernement actuellement en place serait incapable d’assurer la sécurité des minorités.

Il fait valoir plus particulièrement que son père aurait été membre du parti démocratique et qu’il aurait été assassiné le 20 octobre 1998, que la police n’aurait pas réussi à identifier les auteurs de cet assassinat, que depuis de longues années et déjà sous le régime communiste, sa famille aurait fait l’objet de persécutions, que notamment deux oncles auraient été assassinés dans les années soixante respectivement soixante-dix, et que 2 ou 3 jours avant de quitter son pays d’origine, lui, son frère et une troisième personne auraient été victime d’un guet-apens, étant donné que des inconnus auraient tirés sur leur voiture.

Le demandeur conclut qu’il résulterait de ce qui précède qu’il aurait rapporté à suffisance et « dans la mesure de ce qui peut être humainement et légitimement exigé de personnes qui n’ont pas pu préparer à l’avance leur exil de longue date, mais qui ont cherché leur salut dans un exode risqué, la preuve d’une situation de persécution et d’insécurité criante pour appartenir à un groupe ethnique exposé ». Il relève encore qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il serait la cible immédiate et privilégiée d’attaques « pour être un traître du pays et pour être un ressortissant d’un pays où l’autorité étatique se serait effritée et où se pratiquerait la loi du talion ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SAKO et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SAKO lors de son audition du 15 mai 2000, telles que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur se réfère en premier lieu à la situation générale de son pays ainsi qu’à son appartenance à la minorité musulmane. A cet égard, il convient tout d’abord de préciser, d’une part, que les musulmans ne constituent pas une minorité en Albanie et, d’autre part, que la simple appartenance à une minorité ethnique ne suffit pas pour établir une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Il appartient au demandeur d’établir avec précision qu’il a individuellement des raisons à craindre de faire l’objet de persécutions pour une des raisons énumérés par la Convention de Genève.

En l’espèce, le demandeur se réfère d’une manière générale à la situation instable régnant dans son pays, sans fournir la moindre précision par rapport à sa situation personnelle.

Le tribunal retient que le demandeur n’a pas fait valoir des éléments suffisamment précis et circonstanciés desquels il se dégage que, considérée individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant l’argument du demandeur que son père aurait été assassiné en raison de ses prétendues activités politiques, force est de constater que le demandeur a déclaré lors de son audition que les auteurs de l’assassinat de son père seraient restés inconnus. Les déclarations du demandeur, qui ne sont ni précises ni appuyées sur un quelconque élément de preuve tangible, ne renseignent par ailleurs pas sur le motif pour lequel son père aurait été particulièrement exposé en raison de ses activités politiques et quel aurait été son rôle et sa fonction au sein du parti démocratique. En outre, même à supposer que le père du demandeur aurait été persécuté pour des motifs politiques, il n’est nullement établi ni soutenu que le demandeur, qui n’a jamais eu des activités politiques, devrait également craindre d’être persécuté, d’autant plus que sa mère et son jeune frère résident toujours en Albanie.

Les autres éléments mis en avant par le demandeur, à savoir le fait que sa famille aurait été persécutée sous « l’ancien régime communiste », que deux de ses oncles auraient été assassinés dans les années soixante et soixante-dix, sont des faits qui – à les supposer établis – pourraient tout au plus documenter que sa famille a fait l’objet, dans le passé, d’une 4 persécution de la part du régime communiste, mais ces faits, à eux seuls, ne sont pas de nature à établir dans son chef un risque actuel de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant le fait qu’il serait tombé dans un guet-apens, outre le fait que cet événement n’est pas corroboré par un récit crédible et détaillé et qu’aucun motif ni des explications n’ont été fournis par le demandeur, il y a lieu de relever que ce fait même, à le supposer établi, s’inscrit plutôt dans le cadre d’une criminalité de droit commun.

A ce titre, il échet de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce des inconnus qui auraient tirés sur lui, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, le demandeur n’a ni établi ni même allégué qu’il aurait recherché une protection appropriée de la part des autorités étatiques et que ces dernières seraient incapables d’offrir une telle protection.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 25 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13010
Date de la décision : 25/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-25;13010 ?

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