Tribunal administratif N° 13003 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2001 Audience publique du 25 octobre 2001
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Recours formé par Madame … DURAKOVIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13003 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2001 par Maître Marc BADEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis HENCKS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DURAKOVIC, née le … à Bérane (Monténégro), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 novembre 2000, notifiée le 7 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2001 par Maître Marc BADEN au nom de la demanderesse ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Louis HENCKS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 20 juillet 1999, Madame … DURAKOVIC, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, 1 fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Madame DURAKOVIC fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 22 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 17 novembre 2000, notifiée le 7 février 2001, le ministre de la Justice informa Madame DURAKOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que vous auriez été insultée en raison de votre religion.
Vous admettez cependant ne pas avoir été personnellement persécutée. Vous voudriez rester au Luxembourg, parce que vous avez dépensé beaucoup d’argent pour venir et que vous ne voulez pas avoir payé pour rien. Par ailleurs, l’argent que vous paie l’Etat luxembourgeois vous permettrait de vivre mieux qu’au Monténégro où vous n’aviez rien. La situation économique au Luxembourg serait meilleure que celle dans votre pays d’origine, ce qui vous inciterait à vouloir rester ici. Vous dites enfin ne pas être membre d’un parti politique.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater que les insultes et les raisons économiques que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que le régime politique vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par requête déposée en date du 5 mars 2001, Madame DURAKOVIC a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2000.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant 2 un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Le recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle serait née à Bérane au Monténégro, qu’elle serait de confession musulmane et qu’elle aurait fait l’objet d’insultes du fait de sa religion. Elle estime que le fait « qu’elle n’ait pas jusqu’à maintenant été victime de persécutions dirigées contre elle personnellement ne devrait pas porter à conséquence, alors qu’au vœu de la Convention de Genève, la simple crainte de telles persécutions est suffisante ».
Elle fait encore valoir que s’il était vrai que la situation politique a changé et que des élections démocratiques ont eu lieu, il n’en resterait pas moins que la situation générale serait telle qu’il régnerait un climat de peur généralisée et une crainte de pillages et de violences émanant des Serbes.
Elle estime qu’au vu de ces faits, elle aurait établi que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er A, paragraphe 2 de la Convention de Genève.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame DURAKOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur le fait que les persécutions dont étaient victime les minorités avant les élections démocratiques, persisteraient encore à l’heure actuelle, étant donné que ni l’armée, ni la police n’auraient fait l’objet de réformes.
Elle estime encore que les insultes qu’elle aurait dû subir de la part de réservistes serbes du fait de sa religion musulmane combinées à l’appartenance à une minorité ethnique et à la situation générale très instable au Monténégro, constitueraient un faisceau d’indices qui serait de nature à justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il serait par ailleurs légitime de ne pas vouloir réclamer la protection d’un Etat dont l’armée serait à l’origine des craintes de persécutions par elle alléguées. Elle souligne finalement qu’une simple crainte de persécutions suffirait pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié politique, de sorte qu’il ne serait pas important qu’elle n’ait pas, jusqu’à présent, fait l’objet de persécutions physiques.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a 3 été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame DURAKOVIC lors de son audition du 22 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la demanderesse a déclaré lors de son audition qu’elle aurait eu peur « d’aller en ville, car les réservistes menaçaient les musulmans » et qu’elle se serait fait insulter par des réservistes serbes qui lui auraient dit de quitter le Monténégro. Elle expose qu’elle en avait assez d’être insultée et ses parents l’auraient alors poussée à partir pour le Luxembourg, où vit son frère depuis 8 ans.
Force est de constater que ces faits, même à les supposer établis, ne sont pas suffisamment graves pour conclure que la vie au Monténégro serait à l’heure actuelle devenue insupportable pour la demanderesse. Les arguments et déclarations faites par la demanderesse constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’elle fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.
Outre ledit sentiment général d’insécurité, il ressort des déclarations de la demanderesse que ce sont essentiellement des raisons d’ordre économique qui l’ont poussé à quitter son pays et de venir au Luxembourg. Elle a affirmé lors de son audition du 22 novembre 1999 qu’elle ne voulait plus rentrer dans son pays, étant donné qu’elle aurait payé « beaucoup d’argent pour le voyage et (elle) ne veut pas avoir payé autant d’argent pour rien. (Elle) veut pouvoir rester ici, car ici la situation économique est beaucoup mieux qu’au Monténégro ». Elle a également déclaré ne pas avoir subi personnellement des persécutions et qu’elle n’aurait pas eu « spécialement peur de quelque chose au Monténégro pour le moment, c’est plutôt que (sa) situation financière s’est améliorée au Luxembourg et c’est pour cela que (elle) veut rester ».
Concernant sa peur vis-à-vis d’une partie de la population du Monténégro, il échet de relever qu’une persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en 4 l’espèce de réservistes serbes du Monténégro qui l’auraient injuriée, ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).
En l’espèce, la demanderesse n’a ni établi ni même allégué qu’elle aurait recherché une protection appropriée de la part des autorités étatiques et que ces dernières seraient incapables d’offrir une telle protection.
Dans ce contexte, il est faux de soutenir qu’il serait parfaitement légitime à ne pas vouloir réclamer la protection de cet Etat, au motif que les menaces dont la demanderesse aurait fait l’objet émaneraient de réservistes appartenant à l’armée yougoslave, étant donné qu’on ne saurait dégager du fait qu’un petit groupe d’individus ont un comportement blâmable une condamnation de l’ensemble des autorités officielles du Monténégro.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge 5 et lu à l’audience publique du 25 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Campill 6