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25/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12885

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2001, 12885


Tribunal administratif N° 12885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12885 du rôle, déposée le 12 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/You

goslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Rozaje, agissant tant en leur nom per...

Tribunal administratif N° 12885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … AGOVIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12885 du rôle, déposée le 12 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Rozaje, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 octobre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 2 février 1999, Monsieur … AGOVIC et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur AGOVIC et son épouse, Madame … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 3 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux AGOVIC-…, par lettre du 15 octobre 2000, notifiée en date du 13 décembre 2000, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous étiez sans emploi dans votre pays.

Depuis 1997, vous auriez fait partie du service de sécurité se trouvant sous les ordres de l’armée, et vous auriez participé à des patrouilles pour contrôler la frontière entre le Monténégro et le Kosovo. La police militaire serait souvent venue vous chercher pour les besoins du service.

Vous indiquez que vous avez quitté le pays seulement en février 1999, parce que vous avez toujours espéré que la situation se calmerait. La situation se serait cependant aggravée, et vous seriez parti pour ne pas vous faire tuer.

Vous affirmez que vous ne pouvez pas rentrer chez vous, parce que vous seriez mis en prison pour désertion.

En plus, vous invoquez la mauvaise situation générale qui vous empêcherait de rentrer.

Madame, vous vous ralliez aux déclarations de votre mari.

Vous étiez affecté, Monsieur, à un service de sécurité dépendant de l’armée, qui vous recrutait de façon irrégulière pour de courtes périodes. Même à supposer que votre départ puisse être considéré comme désertion, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir concrètement que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention.

Vous ne faites pas valoir des raisons personnelles de nature à justifier une telle crainte.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 1er janvier 2001, les époux AGOVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 octobre 2000.

Par décision du 5 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 12 février 2001, les époux AGOVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 15 octobre 2000 et 5 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient de religion musulmane, originaires du Monténégro et qu’ils auraient décidé de quitter leur pays lorsque Monsieur AGOVIC aurait été appelé par les autorités de son pays à la réserve militaire.

Ils font valoir que le refus par Monsieur AGOVIC d’intégrer l’armée se serait imposé, en raison, d’une part, du fait que la guerre avait éclaté au Kosovo et, d’autre part, de ses objections de conscience. Ils ajoutent dans ce contexte que le comportement de Monsieur AGOVIC, consistant dans le refus de sa part de réintégrer l’armée fédérale yougoslave, pourrait être interprété comme étant l’expression d’une opinion politique contraire au régime en place. Ils considèrent qu’en cas de retour dans leur pays, Monsieur AGOVIC risquerait d’être gravement sanctionné et que la peine susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de sa désertion risquerait d’être discriminatoire en raison de sa religion musulmane et du fait qu’il appartient à une minorité ethnique.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’ils risqueraient de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

3 Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux AGOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 3 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission de Monsieur AGOVIC, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur AGOVIC risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus 4 particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans leur pays d’origine, en raison de leur peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12885
Date de la décision : 25/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-25;12885 ?

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