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25/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12883

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2001, 12883


Tribunal administratif N° 12883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BALICEVAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12883 du rôle, déposée le 12 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur … BALICEVAC, né le … à Prioboj (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yo...

Tribunal administratif N° 12883 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2001 Audience publique du 25 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BALICEVAC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12883 du rôle, déposée le 12 février 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BALICEVAC, né le … à Prioboj (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 octobre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 5 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 1er mars 1999, Monsieur … BALICEVAC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur BALICEVAC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 3 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BALICEVAC, par lettre du 10 octobre 2000, notifiée en date du 13 décembre 2000, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations faites à l’agent du Ministère de la Justice que vous avez fait votre service militaire en 1980/1981 à Zagreb. Vous avez reçu un appel pour la réserve vers la fin du mois de février, mais vous ne vous êtes pas présenté.

Ensuite, la police militaire est venue vous chercher, mais vous n’étiez pas là. Le lendemain vous êtes parti pour Belgrade avec l’intention de quitter le pays. Vous précisez que vous aviez déjà reçu un appel lors de la guerre en Croatie, que vous l’aviez refusé et que vous aviez perdu votre emploi. Vous pensez maintenant risquer une peine de prison.

Vous dites n’avoir été membre d’aucun parti politique.

Vous dites que vous n’auriez subi personnellement aucune persécution, mais que vous auriez reçu des coups de téléphone anonymes et que vous avez été insulté.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 1er janvier 2001, Monsieur BALICEVAC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 10 octobre 2000.

Par décision du 5 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 12 février 2001, Monsieur BALICEVAC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 10 octobre 2000 et 5 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de sa situation de fait, étant donné que sa situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans son pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

2 Il fait exposer plus particulièrement qu’il est de religion musulmane, originaire de la Serbie et qu’il aurait décidé de quitter son pays lorsqu’il aurait été appelé par les autorités de son pays à la réserve militaire. Il fait valoir que son refus d’intégrer l’armée pourrait être considéré par les prédites autorités comme l’expression d’une opinion politique défavorable au régime en place, équivalent à un acte d’opposition contre le pouvoir. Il considère qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait d’être gravement sanctionné et que la peine susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission risquerait d’être discriminatoire en raison de sa religion musulmane et du fait qu’il appartient à une minorité ethnique.

Il soutient encore qu’en cas de retour dans son pays d’origine, à savoir la Serbie, sa sécurité y serait gravement mise en cause du fait qu’en tant que musulman, il risquerait d’y être persécuté par une population majoritairement serbe et orthodoxe.

Il soutient encore qu’il ne disposerait d’aucune possibilité de fuite interne sur le territoire yougoslave, dans la mesure où il ne pourrait pas se réfugier dans la « province du Kosovo », étant donné que, d’une part, il ne parlerait pas la langue albanaise et que, d’autre part, l’administration civile mise en place au Kosovo serait dans l’impossibilité de garantir une « sécurité suffisante » au Kosovo à des individus n’appartenant pas à la communauté albanaise.

Sur base des faits ainsi soumis, le demandeur estime avoir établi des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il risquerait de se voir exposer à des exactions en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte à devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C, Pas.

adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BALICEVAC lors de son audition en date du 3 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur BALICEVAC risque actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine, en raison de sa peur du régime politique et des Serbes en général, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que Monsieur BALICEVAC ne remplit pas les conditions fixées par la Convention de Genève en vue de se faire reconnaître le statut de réfugié politique au sens de ladite convention et le tribunal administratif n’a partant pas à analyser si Monsieur BALICEVAC pourrait profiter d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, 4 reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12883
Date de la décision : 25/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-25;12883 ?

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