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25/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12842

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 octobre 2001, 12842


Tribunal administratif N° 12842 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2001 Audience publique du 25 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … CUCOVIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12842 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2001 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur … CUCOVIC, né le … à Pec (Kosovo), et de son épouse, Madame … …, née le...

Tribunal administratif N° 12842 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 janvier 2001 Audience publique du 25 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur … CUCOVIC et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12842 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2001 par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CUCOVIC, né le … à Pec (Kosovo), et de son épouse, Madame … …, née le … à Pec, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 5 janvier 2001 ;

Vu la lettre de Maître THIELEN du 25 janvier 2001, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er février 2001, par laquelle il a informé le tribunal de ce que ses mandants bénéficient de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Vincent FRITSCH, en remplacement de Maître Lex THIELEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 septembre 1998, Monsieur … CUCOVIC et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … CUCOVIC, tous préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention 1 de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur CUCOVIC et son épouse, Madame … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 25 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 28 août 2000, notifiée le 29 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux CUCOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez d’abord vos difficultés de trouver un emploi et vous dites avoir été licencié.

Vous expliquez avoir effectué votre service militaire en 1983/84 en Bosnie.

Vous auriez été appelé à la réserve en 1991 pendant la guerre de Croatie. Votre mère aurait accepté l’appel, mais vous auriez refusé d’y donner une suite. Vous n’auriez pas reçu d’appel écrit pour la guerre du Kosovo, mais la police serait venue vous chercher à votre domicile à un moment où vous auriez déjà pris la fuite.

Vous expliquez que vous refuseriez de faire la réserve, alors que vous ne voudriez pas tuer et que vous ne voudriez pas participer au conflit armé au Kosovo. Vous refuseriez de devenir « l’arme de Milosevic ».

Concernant l’éventuelle sanction de votre insoumission, vous relevez que vous risqueriez une peine d’emprisonnement dont le maximum serait de 20 ans.

Vous ne faites pas référence à une éventuelle appartenance à un parti politique, mais vous retenez que la politique yougoslave serait très mauvaise. Il y aurait des différences de traitement entre les races, essentiellement entre musulmans et Serbes.

Vous ajoutez que vous auriez quitté votre pays d’origine à cause du conflit armé au Kosovo. Vous auriez peur de devoir aller à la réserve et de devoir porter les armes. Vous auriez par ailleurs peur d’être maltraité.

De plus, vous excluez un retour volontaire dans votre pays d’origine. Votre maison n’aurait pas été détruite, mais vous auriez été victime d’un cambriolage.

En outre, vous affirmez avoir subi des persécutions physiques et psychiques par la police (essai de vous faire payer une amende prétendument arbitraire, vols etc.).

Enfin, vous dites avoir peur à cause de vos croyances religieuses.

En ce qui vous concerne, Madame, vous exposez que la politique dans votre pays d’origine serait affreuse.

2 Vous affirmez avoir quitté votre pays d’origine à cause du conflit armé. Vous auriez peur pour vos enfants. Vous n'auriez pas pu trouver d’emploi et votre mari aurait été licencié.

De même, votre mari aurait refusé de devenir soldat.

Vous exposez que par ailleurs vos meubles auraient été volés.

Vous dites vouloir rester au Luxembourg à cause de vos enfants. Vous dites avoir peur pour eux et vous voudriez qu’ils puissent grandir en sécurité.

Par ailleurs, vous admettez ne pas avoir subi personnellement des persécutions.

Enfin, vous exposez avoir peur de la police, de l’Etat et de la guerre. Vous dites que cette peur serait liée au fait que vous êtes musulmane.

J’insiste sur le fait que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Concernant vos difficultés pour trouver un emploi et votre licenciement, même à les supposer établies, il y a lieu de relever qu’elles ne constituent pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

De même, la crainte d’une sanction pénale du chef d’insoumission ne constitue pas une crainte justifiée de persécution telle que visée par la Convention de Genève.

En outre, alors qu’une situation de paix s’est établie dans votre pays d’origine, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Je me permets également de constater que les autres événements dénoncés (le vol de vos meubles et les incidents avec les policiers), même à les supposer établis, ne dénotent pas non plus une persécution de nature à justifier une crainte pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Quant à vous, Madame, vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous admettez d’ailleurs vous-même ne pas avoir personnellement subi de persécutions.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

3 Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par un courrier de leur mandataire daté du 28 décembre 2000, les époux CUCOVIC-… formèrent un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 28 août 2000.

Par lettre du 5 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure du 28 août 2000.

Par requête déposée en date du 31 janvier 2001, les époux CUCOVIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et … CUCOVIC, ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 28 août 2000 et 5 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées dans la mesure où elles portent le refus d’octroi du statut de réfugié. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

C’est à tort, comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, que les demandeurs soutiennent que la décision ministérielle précitée du 28 août 2000 aurait déclaré leur demande d’asile comme étant irrecevable au sens de la loi précitée du 3 avril 1996. En effet, il ressort sans aucune équivoque possible que le ministre de la Justice a déclaré, dans sa décision précitée du 28 août 2000, et après avoir analysé les différents faits invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile, celle-ci comme étant non fondée au sens de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996. Il s’ensuit qu’en raison de la fausse interprétation non seulement du sens mais également des mots utilisés dans la décision litigieuse, ce moyen qualifié de moyen d’« incompétence » est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de ne pas avoir respecté la « pratique administrative » qui serait basée sur le règlement ministériel du 15 octobre 1992 portant institution d’une commission consultative pour les réfugiés, en ce que ladite commission consultative n’aurait pas été saisie de leur dossier de demande d’asile et que partant « l’auteur de la décision [aurait] exercé des fonctions attribuées à une autre autorité ». La décision sous analyse du 28 août 2000 devrait partant être annulée « du chef d’incompétence ».

Ce moyen d’annulation de la décision précitée du 28 août 2000 doit être rejeté, pour ne pas être fondé, étant donné que, comme l’a soulevé à bon droit le délégué du gouvernement, l’article 3, paragraphe 3 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que le ministre de la Justice a la faculté de consulter la prédite commission consultative en vue d’obtenir son avis sur un dossier individuel, mais que la saisine de cette commission n’est en aucun cas obligatoire.

4 Ainsi, le fait de ne pas avoir soumis le dossier des demandeurs à la commission consultative pour les réfugiés ne saurait entraîner l’annulation d’une décision ministérielle prise pour juger du bien fondé de leur demande d’asile. En outre, les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une pratique administrative constante relativement à la saisine de la prédite commission consultative, malgré la modification de la loi précitée du 3 avril 1996, par la loi du 18 mars 2000, remplaçant la saisine obligatoire de la commission par une consultation facultative de celle-ci.

Les demandeurs reprochent encore au ministre de la Justice de ne pas avoir indiqué « une véritable motivation » dans la décision critiquée du 28 août 2000, alors que celle-ci ne contiendrait que des « affirmations sommaires non autrement circonstanciées en fait ni motivées en droit » et ils concluent partant à l’annulation de ladite décision pour défaut de motifs légaux.

Force est de constater , comme l’a relevé à bon droit le délégué du gouvernement, que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision précitée du 28 août 2000, auquel s’est référée la décision confirmative du 5 janvier 2001 pour faire partie intégrante également de cette deuxième décision, que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

Les demandeurs reprochent en outre au ministre de la Justice d’avoir basé ses décisions précitées des 28 août 2000 et 5 janvier 2001 sur une procédure d’instruction viciée, en ce que les interrogatoires et les auditions auxquels ont été soumis les époux CUCOVIC n’auraient pas été effectués par une « autorité compétente ».

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen d’annulation des décisions sous analyse, en se référant, d’une part, à l’article 4, paragraphe (1) de la loi précitée du 3 avril 1996 qui prévoit expressément le droit accordé aux demandeurs d’asile d’être entendus par un agent du ministère de la Justice et, d’autre part, à l’article 6, paragraphe (1) de la même loi, qui dispose que le service de police judiciaire est compétent pour procéder « à toute vérification nécessaire à l’établissement de l’identité du demandeur d’asile », en prévoyant encore que ledit service est compétent pour procéder « à une audition du demandeur d’asile » et de dresser un rapport afférent. Il s’ensuit que tant l’audition précitée du 23 septembre 1998 que celles postérieures du 25 août 1999 ont été effectuées par les autorités compétentes sur base des dispositions légales précitées.

Les demandeurs concluent par ailleurs à l’annulation des décisions critiquées en soutenant que le traducteur de leurs déclarations effectuées au cours des auditions précitées qui ont eu lieu en date du 25 août 1999, n’aurait pas été impartial. Ils soutiennent plus particulièrement que ledit traducteur aurait fait une interprétation subjective de leurs déclarations, « qui [n’aurait pas été] en leur faveur ».

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen d’annulation des décisions sous analyse, en se référant d’abord au fait que les procès-verbaux respectifs contenant les déclarations individuelles de Madame … … et de Monsieur … CUCOVIC ont été respectivement signés par ceux-ci, alors qu’au cas où ils auraient douté de la traduction correcte de leurs déclarations, ils auraient pu refuser de signer les prédits procès-

5 verbaux, d’autant plus que les demandeurs ni n’expliquent en quoi leurs propos auraient été dénaturés ni n’apportent un quelconque élément de preuve mettant le tribunal en mesure d’apprécier si, effectivement, le traducteur n’a pas correctement traduit et interprété les déclarations faites par les demandeurs au cours de leurs auditions respectives par un agent du ministère de la Justice en date du 25 août 1999.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane, que Madame … ferait partie de la minorité des « bochniaques » et que Monsieur CUCOVIC aurait eu « de graves difficultés » dans son pays d’origine, non seulement en raison de sa religion musulmane mais également en raison de ses différentes prises de position politiques. Dans ce contexte, ils font valoir qu’au cours de l’année 1992, Monsieur CUCOVIC aurait été licencié, en sa qualité d’instituteur, par le directeur de son école en raison de ses opinions critiques exprimées à l’encontre du président de la Yougoslavie, Monsieur Milosevic. Il aurait plus particulièrement été sanctionné en raison de son attachement aux principes fondamentaux de liberté et de respect des droits de l’homme.

Ils admettent toutefois qu’à la suite d’une instance judiciaire dirigée contre la prédite décision de licenciement, Monsieur CUCOVIC aurait été réintégré dans ses fonctions d’instituteur par décision de justice.

Ils font encore valoir qu’une année après la prédite réintégration de Monsieur CUCOVIC dans ses fonctions d’instituteur, il aurait à nouveau été contraint d’abandonner celles-ci en raison du « comportement de ses supérieurs ».

Ils soutiennent que ces deux faits ensemble le refus de Monsieur CUCOVIC d’être enrôlé dans la réserve de l’armée fédérale yougoslave en 1991 pendant la guerre en Croatie, établiraient à suffisance de droit qu’ils rempliraient les conditions prévues par la Convention de Genève en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Ils concluent encore à un risque actuel de persécution dans leur pays d’origine, en raison du fait que les Albanais, qui exerceraient actuellement le contrôle au Kosovo, infligeraient « des sanctions épouvantables » à l’encontre des collaborateurs des Serbes dont ils feraient partie, en leur qualité d’instituteurs ayant travaillé pour les autorités serbes avant l’intervention de l’OTAN au Kosovo.

Ils estiment en outre courir un risque de persécution en cas de retour dans leur pays d’origine, étant donné qu’en raison de leur double origine, bochniaque et albanaise, ils seraient également rejetés et risqueraient d’être persécutés par la communauté serbe de leur pays d’origine. Ainsi, ils estiment courir des risques de persécution de la part des deux communautés, albanaise et serbe, de leur pays d’origine, rendant tout retour dans leur pays impossible.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux CUCOVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a 6 pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux CUCOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 25 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que les demandeurs n’ont, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre dans leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, une persécution de la part des autorités serbes.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce de la population albanaise du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un 7 acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », ainsi que celle des Albanais ayant travaillé pour les autorités serbes, que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, discriminations voire pire par des groupes albanais de la population du Kosovo, mais elle n’est cependant pas telle que tout membre des minorités visées aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il échet de relever dans ce contexte que les demandeurs ne font état d’aucun élément concret à la base de leur demande d’asile permettant d’évaluer les persécutions ou les risques de persécutions qu’ils risqueraient d’encourir en cas de retour dans leur pays d’origine. Ainsi, à défaut d’avoir établi des circonstances particulières susceptibles de justifier dans leur chef de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir qu’ils risquent de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Par ailleurs, les demandeurs n’établissent pas des raisons pour lesquelles ils ne pourraient pas profiter d'une possibilité de fuite interne dans leur pays.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

8 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 25 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12842
Date de la décision : 25/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-25;12842 ?

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