Tribunal administratif N° 13527 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 juin 2001 Audience publique du 24 octobre 2001
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Recours formé par Monsieur … ZHANG, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13527 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001 par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZHANG, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 19 mars 2001 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une autorisation de séjour pour ses beaux-parents, les époux J.H., née le … , et M.W., née le …, tous les deux de nationalité chinoise ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé en date du 20 septembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître PHONG au nom du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Albin COLSON, en remplacement de Maître Daniel PHONG et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2001.
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Par courrier daté du 28 février 2001, Monsieur … ZHANG s’adressa au ministre de la Justice pour solliciter l’octroi d’une autorisation de séjour dans le chef de ses beaux-parents J.H. et M.W., demeurant en Chine, au motif qu’ils n’auraient pas de pension de retraite régulière en Chine et que lui et son épouse P. H. seraient les seules personnes qui pourraient s’occuper d’eux.
Par décision datant du 19 mars 2001, le ministre refusa de faire droit à cette demande au motif que « conformément à l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1 l’entrée et le séjour des étrangers, les intéressés doivent disposer de leurs propres moyens personnels suffisants leur permettant d’assurer leur séjour au Grand-Duché, abstraction faite de l’aide matérielle ou des secours financiers que de tierces personnes pourraient s’engager à leur faire parvenir ».
Après avoir fait introduire, par courrier de son mandataire datant du 11 mai 2001, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée, Monsieur ZHANG a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle du 19 mars 2001 par requête déposée en date du 5 juin 2001.
Aucune disposition légale n’accordant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. Le recours en annulation introduit en ordre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que si la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, ainsi que le règlement grand-ducal du 28 mars 1972 non autrement qualifié, prévoit effectivement que les étrangers justifient de ressources personnelles, cette disposition ne saurait toutefois être comprise en ce sens que des membres de la famille de ces étrangers ne sauraient s’engager à subvenir à leurs besoins pendant le temps nécessaire à leur adaptation au Grand-Duché de Luxembourg. Le demandeur s’empare en outre des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme », pour soutenir que par application du droit au respect de la vie privée et familiale, le ministre aurait dû prendre en considération le lien familial entre lui-même et son épouse, ainsi que les époux J.H. et M.W. pour lesquels l’autorisation de séjour fut sollicitée. Il estime plus particulièrement à cet égard que le refus d’accorder l’autorisation de séjour sollicitée serait à considérer comme une ingérence dans sa vie privée et familiale, contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le délégué du Gouvernement expose que les conditions d’entrée et de séjour d’un étranger sont régies notamment par l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée qui pose la condition des moyens d’existence personnels et suffisants pour supporter les frais liés à son séjour au pays. Or, dans la mesure où les époux J.H. et M.W. n’auraient pas rapporté la preuve de revenus personnels, ce serait à juste titre que le ministre leur a refusé l’autorisation de séjour, étant donné que la prise en charge signée par un membre de la famille ou une aide financière apportée par un membre de la famille ne sauraient être pris en considération par le ministre de la Justice à cet égard.
Concernant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique fait valoir que le prédit article ne conférerait pas aux membres de la famille d’un étranger le droit d’être accueillis dans n’importe quel pays, ni à un étranger le droit à ne pas être expulsé d’un pays où résident les membres de sa famille.
Il relève en outre que ledit article 8 garantirait seulement l’exercice du droit au respect d’une vie familiale existante et ne comporterait pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale, de sorte que l’article 8 serait inapplicable au cas d’espèce, 2 à défaut d’existence d’une vie familiale effective entre Madame H. et ses parents pendant les dernières années, étant entendu que l’épouse du demandeur résidait séparée de ces derniers depuis au moins le mois de septembre 1997, lorsqu’elle s’est mariée à Luxembourg.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur rectifie les faits avancés dans le cadre de sa requête introductive d’instance en précisant que les époux H.-W. toucheraient actuellement une pension de retraite de l’Etat chinois. Il signale en outre qu’il se proposerait d’héberger gratuitement ses beaux-parents, de sorte que les ressources personnelles dont ceux-ci disposeraient seraient suffisantes pour couvrir leurs frais de séjour au Luxembourg.
Relativement à son moyen basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le demandeur ajoute que ledit article ne ferait pas de distinction entre le droit à la vie privée et familiale de parents avec leurs enfants mineurs ou avec leurs enfants majeurs.
Le rôle du juge administratif, en présence d’un recours en annulation, consiste à vérifier le caractère légal et réel des motifs invoqués à l’appui de l’acte administratif attaqué. En outre, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise (trib. adm. 27 janvier 1997, Pas. adm. 2001, V° Recours en annulation, n° 9, p. 401, et autres références y citées).
L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».
Il se dégage dudit article 2 qu’une autorisation de séjour peut être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, sub Autorisation de séjour - Expulsion, n° 100, p. 150, et autres références y citées).
En l’espèce, le tribunal constate qu’il ressort des éléments du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, que les époux H.-W. ne disposaient pas de moyens personnels suffisants au moment où les décisions attaquées ont été prises, étant entendu que même à admettre qu’une pension mensuelle de l’ordre de 705 yuan pour Monsieur H. et de 520 yuan pour Madame W. leur soit effectivement versée, les sommes en question sont en toute occurrence à considérer comme insuffisantes pour couvrir les frais de séjour de deux adultes au Grand-Duché de Luxembourg, abstraction même faite de ce qu’ils seraient logés gratuitement.
Il s’ensuit que c’est à bon droit et conformément à l’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 que le ministre a pu refuser l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée en faveur des époux H.-W. en se basant sur l’absence de preuve de moyens personnels suffisants dans leur chef, étant précisé qu’une prise en charge par une tierce personne, même s’il s’agit d’un membre de la famille, n’est pas à considérer comme constituant des moyens personnels au sens dudit article 2.
Si le refus ministériel se trouve, en principe, justifié à suffisance de droit par ledit motif, il convient cependant encore d’examiner le moyen d’annulation soulevé par le demandeur tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la 3 mesure où il estime qu’il y aurait violation de son droit au maintien de sa vie familiale, lequel tiendrait la disposition précitée de la loi du 28 mars 1972 en échec.
En droit international, il est de principe que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. Cependant, les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.
A ce sujet, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que:
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Sans remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, l’article 8 implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
La notion de famille sur laquelle repose l’article 8 inclut, même en l’absence de cohabitation, l’existence de liens entre une personne et ses enfants. Dans la mesure où l’épouse du demandeur, et a fortiori lui-même, ont en l’espèce rompu les liens directs avec les époux H.-W. en s’établissant volontairement au Luxembourg pendant au moins une période ininterrompue de trois ans, il ne saurait être retenu que la décision déférée a eu pour effet de rompre cette unité familiale et se heurterait ainsi au principe de la protection de l’unité familiale telle que consacrée au niveau de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale suppose en effet pour le moins l’existence d’un exercice effectif de ce droit qui doit avoir une assise concrète, allant au-delà de la simple filiation et de rapports éventuellement entretenus par le passé, mais interrompus de manière prolongée par la suite.
Il suit des considérations qui précèdent que le ministre de la Justice a valablement pu rejeter la demande en octroi d’une autorisation de séjour sollicitée en faveur des époux H.-W.
et que le recours est partant à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
4 se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2001 par:
Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5