Numéro 13456 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CILOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13456 du rôle et déposée le 18 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CILOVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 décembre 2000, notifiée le 28 février 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre intervenue sur recours gracieux et datant du 18 avril 2001 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 septembre 2001 par Maître Anne-Marie SCHMIT pour compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katia AIDARA, en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 octobre 2001.
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Le 24 juin 1999, Monsieur … CILOVIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur CILOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur CILOVIC fut entendu en date du 25 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur CILOVIC par décision du 4 décembre 2000, notifiée en date du 28 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement du service militaire dans l’armée yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser, que par ailleurs la seule crainte de peines du chef de désertion ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que, concernant la peur invoquée par Monsieur CILOVIC en raison de sa religion, il y aurait lieu de préciser que la reconnaissance du statut de réfugié ne serait pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur et que Monsieur CILOVIC resterait en défaut de faire valoir des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte de persécution afférente, le ministre ayant relevé à cet égard que les provocations par lui subies à l’armée, bien qu’elles soient condamnables, ne seraient pas d’une gravité telle qu’elles justifieraient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Par la même décision le ministre a relevé que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et que la Yougoslavie aurait actuellement retrouvé sa place dans la communauté internationale.
Par courrier de son mandataire datant du 28 mars 2001, Monsieur CILOVIC fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle prévisée du 4 décembre 2000.
Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 18 avril 2001, Monsieur CILOVIC a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 4 décembre 2000 et 18 avril 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, expose avoir peur de subir des persécutions en cas de retour dans son pays 2 d’origine en raison de son appartenance à la population musulmane ainsi que de ne pas être libre d’y pratiquer sa religion. Il relève avoir déserté de l’armée yougoslave à l’aéroport militaire de Belgrade en date du 15 mars 1999 alors qu’il aurait dû être envoyé au Kosovo pour combattre ses frères musulmans. Il signale que dans la mesure où il aurait été le seul musulman dans son unité il aurait subi sans cesse des provocations de la part des Serbes et que, lors de sa fuite, il aurait été gravement blessé à la main par un coup de feu. Il expose ainsi avoir quitté son pays d’origine afin d’assurer sa sécurité, ceci d’autant plus que la police militaire aurait déjà tué son père et que la situation d’après-guerre demeurerait encore très instable, malgré la disparition du régime de Monsieur Milosevic et le soutien accordé au niveau international au nouveau régime. Le demandeur reproche au ministre de s’être livré à un examen superficiel et insuffisant des faits et de ne pas avoir pris en considération ses craintes réelles de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane.
Le délégué du Gouvernement rétorque que le demandeur se référerait à la seule situation générale qui règne au Monténégro ainsi qu’à son appartenance à la minorité musulmane, mais que ces références, en tant que telles, ne sauraient suffire pour lui accorder le bénéfice du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. Il relève par ailleurs que la situation d’insoumis invoquée à l’appui de la demande d’asile ne serait pas non plus constitutive, à elle seule, d’un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié tout en rappelant par ailleurs qu’une loi d’amnistie a été adoptée au mois de mars 2001 en République fédérale de Yougoslavie.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait valoir que la loi d’amnistie invoquée par le délégué du Gouvernement ne serait pas suffisante pour garantir sa sécurité et qu’aucune garantie réelle ne pourrait être fournie quant à l’application effective et démocratique de cette loi.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 25 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
3 En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission personnelle du demandeur n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, la subsistance d’un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission ou d’exécution effective d’une condamnation d’ores et déjà prononcée de ce chef laisse d’être établie en l’espèce. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.
Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations avancées par le demandeur dans son mémoire en réplique suivant lesquelles cette loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux personnes ayant fui le territoire de leur pays d’origine et que les réfugiés concernés risqueraient, au moment de leur retour au Monténégro, d’être incarcérés et condamnés, étant donné que les articles 214 et 217 du code pénal de la République fédérale yougoslave visés par l’article 1er de la loi d’amnistie couvrent respectivement dans leur paragraphes 3 et 4 expressément le cas des insoumis et déserteurs qui ont quitté le pays ou qui sont restés à l’étranger afin d’échapper à leurs obligations militaires. Force est encore de relever à cet égard qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, il se dégage des informations fournies en cause et plus particulièrement de la prise de position du correspondant honoraire de l’UNHCR qu’au-delà de toute question relative à l’interprétation juridique de la loi d’amnistie, le Haut Commissariat pour les Réfugiés n’avait, en date du 19 juin 2001, pas connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas avoir à signaler de doute quant à une application généralisée de cette loi.
Enfin, les provocations, de la part des Serbes en raison de sa religion, alléguées par le demandeur ne sauraient constituer un motif suffisant pour lui reconnaître le statut de réfugié, étant donné que le demandeur se confine à y faire référence sans préciser leur nature et leur fréquence, de manière à n’avoir mis ni le ministre ni le tribunal en mesure d’apprécier leur gravité réelle. La même conclusion s’impose relativement au sort tragique allégué du père du demandeur, étant donné que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir les raisons et circonstances exactes de cet événement tragique.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 4 au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5