Tribunal administratif Numéro 13279 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par Madame … CEMAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13279 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … CEMAN, née le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 22 janvier 2001 et 14 mars 2001, la première refusant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision et partant confirmant cette dernière ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Dauphin déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 octobre 2001.
Le 29 juin 1999, Madame … CEMAN introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour Madame CEMAN fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 30 juin 1999, elle fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
1 Par décision du 22 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Madame CEMAN que sa demande avait été refusée comme non fondée aux motifs qu’elle n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que les provocations et injures, même à les supposer établies, ne seraient pas suffisantes pour constituer une crainte justifiée de persécution de nature à lui rendre la vie intolérable dans son pays et que cette crainte s’analyserait plutôt en un sentiment général d’insécurité. Le ministre a souligné par ailleurs que la situation politique en Yougoslavie aurait changé depuis le mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.
Le 8 mars 2001, Madame CEMAN fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.
Par décision du 14 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 8 mars 2001.
Le 13 mars 2001, Madame CEMAN a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 22 janvier 2001 et celle confirmative du 14 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Quant au fond, Madame CEMAN, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir que sa crainte serait liée au sort inéluctable de persécution sinon d’exclusion dont feraient l’objet les musulmans du Sandzak et signale qu’elle-même aurait été injuriée et maltraitée par des réservistes parce qu’elle est musulmane. Pour établir cette crainte, Madame CEMAN prend appui sur un rapport de l’UNHCR publié en mars 2001 et sur des entretiens de responsables de la Fondation Caritas avec des responsables de l’UNHCR et l’UNMIK. Elle conclut que sa situation ethnico-religieuse justifierait « pleinement son admission aux critères édictés par la Convention de Genève » et que sa situation individuelle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution, à l’instar de son frère et de sa sœur qui vivent au Luxembourg depuis quelques années déjà.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse tant en fait qu’en droit, et que le recours laisserait d’être fondé.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse fait relever qu’il ne saurait être question de faire abstraction de la réalité et notamment du fait que les nombreux rapports des organisations non gouvernementales relèveraient qu’il serait encore prématuré de considérer que l’avènement d’un nouveau président démocratiquement élu serait de nature, à lui seul, à modifier radicalement la situation bien complexe dans son pays d’origine.
2 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame CEMAN lors de son audition du 30 juin 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
Concernant la situation ethnico-religieuse de Madame CEMAN, il y a lieu de relever que la seule appartenance à une minorité ethnique est insuffisante pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que Madame CEMAN, considérée individuellement et concrètement, risque de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou religieuse. En effet, les pièces dont la demanderesse fait état, même si elles illustrent la situation difficile des minorités, ne démontrent pas en quoi Madame CEMAN serait tout particulièrement touchée dans sa situation personnelle. D’ailleurs le paragraphe 21 du rapport de l’UNHCR mis particulièrement en évidence par la demanderesse vise la situation spécifique des Musulmans dans les régions du Kosovo à prédominance albanaise et ne saurait donc être concluant dans la présente affaire, Madame CEMAN étant originaire du Monténégro. Force est encore de constater que le rapprochement avec la situation du frère et de la sœur de Madame CEMAN est sans pertinence en l’espèce, étant donné d’abord que chaque demande d’asile est à analyser de manière individuelle et que la demanderesse reste en défaut d’établir concrètement en quoi la situation de ses frère et sœur serait de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Enfin, quant aux injures et maltraitances supportées par Madame CEMAN de la part des réservistes, elles ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
De tout ce qui précède, il résulte que le recours laisse d’être fondé et qu’il y a lieu de le rejeter.
3 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur au frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, Monsieur Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. SCHMIT s. LENERT 4