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24/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13241

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2001, 13241


Numéro 13241 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par les époux … et … HODZIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13241 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né … ...

Numéro 13241 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par les époux … et … HODZIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13241 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HODZIC, né … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 2001 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2001 par Maître François MOYSE pour compte des époux HODZIC-…;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2001.

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Le 14 octobre 1998, Monsieur … HODZIC et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur Haris HODZIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux HODZIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux HODZIC-… furent entendus séparément en date du 15 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux HODZIC-…, par décision du 9 février 2001, notifiée en date du 15 mars 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 9 février 2001, les époux HODZIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 12 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent à la décision litigieuse le caractère trop vague de sa motivation, de manière à ne pas suffire aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision du 9 février 2001 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs.

Quant au fond de leur demande d’asile, les demandeurs, originaires du Monténégro et de confession musulmane, exposent qu’ils ont invoqué deux causes de persécution, à savoir, d’une part, l’insoumission de Monsieur HODZIC qui aurait refusé de donner suite à un appel 2 à la réserve de l’armée yougoslave « lorsque la guerre faisait rage au Kosovo » et, d’autre part, sa qualité de membre du parti musulman SDA et les menaces, arrestations et mauvais traitements qui en auraient été la conséquence. Les demandeurs reprochent au ministre d’avoir analysé dans sa décision critiquée ces deux séries de faits de façon séparée pour conclure qu’isolément ni les uns ni les autres ne seraient des causes de persécution. Ils font valoir à cet égard que l’insoumission de Monsieur HODZIC, même si elle ne constituerait pas en elle-même une cause de persécution, devrait être considérée par rapprochement avec les risques sérieux pour leur liberté sinon leur intégrité physique en cas de retour dans leur pays d’origine et en rapport avec l’activité politique de Monsieur HODZIC laquelle engendrerait des « dangers incontestables » dans leur chef. Ils estiment que la combinaison de ces deux facteurs aurait dû conduire le ministre à leur reconnaître le statut de réfugié, d’autant plus que, malgré le fait que la Yougoslavie aurait retrouvé sa place dans la communauté internationale, tel qu’avancé par le ministre, leur village d’origine serait partagé entre les Serbes et les Musulmans et que les Serbes y détiendraient toujours le pouvoir et continueraient à persécuter les Musulmans, nonobstant le changement intervenu au niveau du gouvernement fédéral.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’insoumission ne constituerait pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, qu’une loi d’amnistie a été adoptée au mois de mars 2001 et que le UNHCR confirmerait ne pas avoir connaissance d’un défaut d’application effective de cette loi d’amnistie. Le représentant soutient encore que la simple qualité de membre d’un parti politique ne fonderait pas à elle seule une crainte justifiée de persécution et que les demandeurs n’établiraient point que l’envergure de l’activité politique de Monsieur HODZIC aurait été telle qu’elle serait de nature à engendrer une crainte fondée de persécution dans leur chef. Il renvoie enfin à la nouvelle situation politique existant en Yougoslavie depuis l’élection d’un nouveau président et à la formation d’un gouvernement démocratiquement élu pour conclure que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Les demandeurs font répliquer que le délégué du Gouvernement continuerait l’interprétation réductrice du ministre en ignorant le fait que ce serait la combinaison de plusieurs facteurs qui les aurait poussé à quitter leur pays d’origine, à savoir l’insoumission de Monsieur HODZIC et sa qualité de membre du parti SDA. Ils estiment que Monsieur HODZIC encourrait encore à l’heure actuelle de graves sanctions pour désertion malgré la loi d’amnistie du 26 février 2001, laquelle ne serait pas applicable à son cas, étant donné que l’infraction d’insoumission serait une infraction continuée et que, pour bénéficier de ladite loi d’amnistie, il aurait partant dû faire cesser l’infraction existant dans son chef avant le 7 octobre 2000 en retournant au Monténégro avant cette date. Les demandeurs relèvent que Monsieur HODZIC aurait revêtu au sein du parti SDA la fonction de président des jeunes de la section locale et aurait fait l’objet de plusieurs interrogatoires accompagnés de violences et d’arrestations, de sorte qu’il n’aurait plus osé dans la suite participer ouvertement à des manifestations publiques du parti. Ils soutiennent enfin qu’en allant au-delà de l’appréciation seulement superficielle de la situation générale dans leur pays d’origine opérée par le ministre, force serait de constater que l’instabilité politique, religieuse et sociale y subsisterait toujours et que des exactions et règlements de comptes seraient encore commis à l’encontre de personnes de confession musulmane.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du Gouvernement déclare contester les développements des demandeurs quant au caractère continu de l’infraction d’insoumission, alors que le nouveau régime politique yougoslave aurait fait de cette loi une priorité politique.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur HODZIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenue de l’évolution de la situation actuelle en 4 Yougoslavie et plus particulièrement de l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont notamment, à travers les articles du code pénal yougoslave y visés, ceux ayant quitté le pays afin de se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par le moyen des demandeurs tiré du caractère continu de l’infraction d’insoumission. En effet, cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie du 26 février 2001 en fait de sa substance, compte tenu du fait que ladite loi a été publiée postérieurement à la date à laquelle les personnes concernées auraient dû se présenter aux autorités compétentes afin d’en bénéficier. Il y a par ailleurs lieu d’ajouter que le UNHCR est d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf.

Cour adm. 25 septembre 2001, Rastoder, n° 13596C, non encore publié).

Quant à la crainte de persécution des demandeurs fondée sur l’activité politique de Monsieur HODZIC, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que ce dernier assurait la présidence des jeunes de la section locale du parti SDA avant son départ du Monténégro, il a admis lui-même lors de son audition que ce parti « a arrêté d’exister quand Bulatovic a eu le poste de président du Monténégro » vu qu’ « il n’avait plus besoin de la SDA ». Dans la mesure où l’engagement de Monsieur HODZIC au sein de ce parti a dès lors nécessairement pris fin, les demandeurs n’étayent pas dans quelle mesure ils seraient encore actuellement exposés à un risque de persécution en raison de l’activité politique de Monsieur HODZIC se situant dans le passé.

Les deux principaux chefs de craintes de persécution dont se prévalent les demandeurs ayant chacun été jugés insuffisants au regard des exigences de la Convention de Genève non pas en raison de leur degré d’intensité, mais par principe, ils ne sauraient a fortiori pas non plus justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique en les considérant ensemble.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, 5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13241
Date de la décision : 24/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-24;13241 ?

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