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24/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13225

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 octobre 2001, 13225


Numéro 13225 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par les époux … et … CAKO-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13225 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CAKO, né le …...

Numéro 13225 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 24 octobre 2001 Recours formé par les époux … et … CAKO-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13225 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CAKO, né le … à Belgrade (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Belgrade, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mars 2001 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2001 par Maître François MOYSE pour compte des époux CAKO-…;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2001.

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Le 1er septembre 1999, Monsieur … CAKO et son épouse, Madame … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur Viktor CAKO, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux CAKO-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux CAKO-… furent entendus séparément en date du 29 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux CAKO-…, par décsion du 20 novembre 2000, notifiée en date du 19 janvier 2001, de ce que leurs demandes avaient été rejetées au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Leur recours gracieux introduit par courrier recommandé de leur mandataire du 9 février 2001 à l’encontre de la décision prévisée du 20 novembre 2000 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 12 mars 2001, les époux CAKO-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 20 novembre 2000 et 12 mars 2001 par requête déposée le 10 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent à la décision litigieuse d’avoir repris « sans autre procédure l’avis de la Commission Consultative des Réfugiés » et de « manquer cruellement de motivation », de manière à ne pas suffire aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes et de l’article 12 de la loi prévisée du 3 avril 1996.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision du 20 novembre 2000 que le ministre de la Justice n’a pas 2 simplement renvoyé à un avis de ladite commission consultative, mais a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance des demandeurs. Ce moyen laisse partant d’être fondé.

Quant au fond de leur demande d’asile, les demandeurs exposent qu’ils forment un couple « mixte » en ce que Monsieur CAKO est musulman et Albanais et que Madame … est d’origine serbe. Ils font valoir qu’en raison de leurs origines différentes, eux-mêmes et leurs enfants auraient été maltraités en permanence par les Serbes. Ils relèvent plus particulièrement que Monsieur CAKO aurait perdu en 1992 son emploi en raison de sa nationalité, son employeur ayant invoqué un faux motif d’absences injustifiées pour le licencier, et n’aurait plus pu trouver depuis lors un autre poste de travail. Ils signalent pareillement que Monsieur CAKO aurait été contraint de changer de nom. Les demandeurs se prévalent de menaces de mort de la part de Monsieur PAVLOVIC, ministre du parti radical et ex-vice-président de la Yougoslavie, après que le frère de Monsieur CAKO, Monsieur Filip CAKO aurait divorcé de Madame Sonia CAKO faisant partie de la famille de Monsieur PAVLOVIC.

Quant à la situation générale dans leur pays d’origine, les demandeurs soutiennent qu’un « certain désordre » régnerait toujours en Yougoslavie qui se manifesterait notamment par des exactions et des règlements de comptes à l’encontre de personnes de confession musulmane, de manière qu’il serait prématuré d’affirmer que la situation se serait stabilisée et qu’ils craindraient encore à l’heure actuelle à juste titre des persécutions de la part des autorités serbes du fait de leurs convictions politiques.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il ne serait pas établi que Monsieur CAKO aurait été licencié en raison de sa religion musulmane et non pas pour un autre motif. Il relève que Monsieur CAKO n’aurait pas changé de nom mais de prénom et qu’il ne ressortirait point des éléments du dossier que ce changement de prénom serait le résultat d’une contrainte plutôt que de sa libre volonté. Le représentant étatique conteste les faits en relation avec les menaces de mort qui auraient été émises par Monsieur PAVLOVIC et retient qu’il ne serait pas établi que, même à supposer qu’elles aient effectivement existé, ces menaces aient pour origine un des motifs repris par la Convention de Genève, de manière à ne pas être de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié. Il soutient par ailleurs « que la belle-sœur de Monsieur CAKO ne saurait être considérée comme agent de persécution » et que les demandeurs laisseraient d’établir qu’ils ont recherché la protection des autorités de leur pays d’origine. Le délégué du Gouvernement renvoie finalement aux changements de la situation politique en République fédérale yougoslave et plus particulièrement aux élections démocratiques d’un nouveau président et d’un nouveau gouvernement, ainsi qu’à la réintégration de la République fédérale yougoslave dans la communauté internationale.

Les demandeurs font répliquer que le ministre aurait adopté une « vision restrictive de l’application de la Convention de Genève » et qu’il faudrait admettre « que certaines persécutions peuvent exister et existent certainement encore de nos jours sans pour autant que le pays soit en état de guerre totale », étant donné que le risque d’actes de vengeance inter-ethniques de nature à mettre la vie d’une personne en danger subsisterait encore actuellement en Yougoslavie. Ils ajoutent que ce serait à tort que le délégué du Gouvernement a considéré les faits particuliers par eux invoqués, à savoir les discriminations systématiques et les menaces de mort de la part de Monsieur PAVLOVIC, comme n’étant pas d’une gravité suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié et ils ajoutent qu’ils auraient demandé le soutien des autorités locales sans l’avoir obtenu. Ils critiquent 3 pareillement les conclusions du représentant étatique tendant voir ces faits considérés comme n’étant point établis en cause malgré leurs offres de preuve afférentes.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique politique (Cour adm.

5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2.

de la Convention de Genève.

Une persécution au sens de la Convention de Genève peut être établie, en cas de circonstances particulières à analyser dans le chef de chaque individu, lorsqu’une personne est contrainte de cesser sa relation de travail avec son employeur pour une raison s’analysant en un motif de persécution énoncé par ladite convention. En l’espèce les demandeurs restent cependant en défaut d’établir un quelconque élément concret de nature à étayer un lien causal entre la cessation de la relation de travail de Monsieur CAKO et un des motifs de persécution énoncés par la Convention de Genève.

Concernant les menaces de mort alléguées émises à l’encontre des demandeurs par Monsieur PAVLOVIC, force est de constater que d’après les affirmations même des demandeurs, elles trouvent leur cause dans le divorce de Monsieur Filip CAKO et les conséquences sociales en découlant pour son épouse et sa famille plutôt que dans l’origine ethnique de la famille CAKO, de manière qu’elles ne sont pas fondées sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou les opinions politiques des demandeurs.

4 Quant à l’argumentation des demandeurs relative à la situation générale dans leur pays d’origine, elle constitue l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que les demandeurs n’aient établi qu’ils risquent personnellement de faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13225
Date de la décision : 24/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-24;13225 ?

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