Tribunal administratif Numéro 13169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 avril 2001 Audience publique du 22 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CIRIKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13169 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2001 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Marc SCHILTZ, avocat, inscrits tous les deux au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CIRIKOVIC, né le … à Plav (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement le 9 janvier 2001 et le 29 mars 2001, la première rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et lui enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans le mois de la notification et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision et partant confirmant cette décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie HAGER, en remplacement de Maître Yvette HAMILIUS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 1er octobre 2001.
Le 8 juillet 1999, Monsieur … CIRIKOVIC introduisit auprès du service compétent du ministre de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Le même jour Monsieur CIRIKOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 12 juillet 1999, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié. Le 8 janvier 2001, il fut entendu encore une fois par un agent du ministère de la Justice.
1 Par décision du 9 janvier 2001, notifiée le 15 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur CIRIKOVIC que sa demande avait été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que l’insoumission ne serait pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution et qu’il ne serait pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Le ministre a souligné par ailleurs que la situation politique en Yougoslavie aurait changé depuis le mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.
Le 12 mars 2001, Monsieur CIRIKOVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.
Par décision du 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 9 janvier 2001.
Le 3 avril 2001, Monsieur CIRIKOVIC a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation contre la décision ministérielle de refus du 9 janvier 2001 et celle confirmative du 29 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Concernant le volet de la décision déférée ayant trait à l’ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu être introduit, la loi ne prévoyant pas de recours en réformation en la matière. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le tribunal n’est partant pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à cet égard.
Quant au fond, Monsieur CIRIKOVIC, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir qu’il aurait fuit son pays, au courant du mois de mai 1999 pour arriver au Luxembourg le 7 juillet 1999, par crainte de devoir combattre ses frères à la guerre au Kosovo. Son refus de donner suite à l’appel au service militaire serait fondé sur des motifs politiques et religieux. La crainte d’être condamné pour désertion serait une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Il souligne encore que les Musulmans seraient traités de manière inacceptable au Monténégro et que lui-même risquerait le même traitement.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a 2 pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
L’examen des déclarations faites par Monsieur CIRIKOVIC lors des auditions du 12 juillet 1999 et du 8 janvier 2001 ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il a déclaré lors de son audition qu’il n’a pas fait l’objet de persécutions personnelles, qu’il aurait peur de la situation générale et il ajoute que « rien de spécial ne s’est cependant passé ».
Comme les conflits armés ont cessé en République fédérale de Yougoslavie, il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve imposerait actuellement encore au demandeur la participation à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. En ce qui concerne la crainte de se voir citer devant un tribunal et d’être condamné pour avoir commis la désertion, il y a lieu de relever que cette crainte est hypothétique. En premier lieu il n’est pas établi que le demandeur a été appelé pour la réserve et en deuxième lieu une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République fédérale de Yougoslavie, de sorte que les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, bénéficient d’une amnistie.
En ce qui concerne la crainte du demandeur de se voir traiter de façon inacceptable à cause de sa confession musulmane, cette crainte s’analyse en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur CIRIKOVIC, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion. Il n’est dès lors pas établi que le retour éventuel du demandeur dans son pays d’origine risque de constituer actuellement un danger sérieux pour sa personne.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une crainte raisonnable de persécution lui rendant le retour dans son pays impossible, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de 3 réfugié. Quant au volet de la décision déférée ayant trait à l’ordre de quitter le territoire, le tribunal, faute par le demandeur d’apporter un moyen quelconque pour en justifier spécialement l’annulation, ne peut que constater que le ministre de la Justice, sur le fondement de l’article 14 de la loi modifiée du 3 avril 1996 citée ci-avant, a pu ordonner au demandeur de quitter le territoire après qu’il lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur au frais.
Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2001 :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. SCHMIT s. LENERT 4