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22/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13083

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 octobre 2001, 13083


Tribunal administratif Numéro 13083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 22 octobre 2001 Recours formé par les époux … HALILOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13083 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch au nom de Monsie

ur … HALILOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave et de ...

Tribunal administratif Numéro 13083 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 22 octobre 2001 Recours formé par les époux … HALILOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13083 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch au nom de Monsieur … HALILOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave et de son épouse, Madame … …, née le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), agissant pour eux-mêmes, ainsi que qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie) et …, né le … à Luxembourg demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 21 novembre 2000 en ce qu’il a rejeté leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nicki STOFFEL en remplacement de Maître URBANY et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 25 septembre 2001.

Le 26 juillet 1999, Monsieur … HALILOVIC et son épouse, Madame … …, agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux HALILOVIC-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Du rapport en dressé il se dégage que, suite à une consultation du système d’information de Schengen, Monsieur 1 HALILOVIC est connu par les autorités allemandes avec la remarque suivante « étranger non-

admissible, refuser entrée-expulser ».

Le 28 juillet 1999, les époux HALILOVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 21 novembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux HALILOVIC-…, leur fille … et leur fils … né entre temps, que leurs demandes avaient été rejetées comme non fondées au motif qu’ils n'invoqueraient aucune crainte raisonnable de persécution du fait de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social, étant donné que l’insoumission, l’appartenance à une minorité ethnique et la situation économique ne sauraient suffire pour constituer une crainte justifiée de persécution susceptible de leur rendre la vie intolérable dans leur pays.

Le 16 février 2001, les époux HALILOVIC-… et consorts firent introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Par décision du 20 février 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 21 novembre 2000.

Le 19 mars 2001, les époux HALILOVIC-… ont fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 21 novembre 2000.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, font valoir qu’ils auraient fuit leur pays ensemble avec leur famille afin d’échapper à un appel imminent à la réserve de Monsieur HALILOVIC. En effet ce dernier refuserait d’être enrôlé par la force et de servir un régime autoritaire dont il désapprouverait complètement la politique et de brandir son arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui. Les demandeurs signalent que suite à leur départ ils auraient appris, par le biais des parents de Monsieur HALILOVIC, que celui-ci aurait été convoqué par l’armée afin de servir dans la réserve. Dans ces circonstances, il serait manifeste que Monsieur HALILOVIC risquerait d’être traité comme déserteur par les autorités serbes, d’être cité de ce chef devant un tribunal militaire et de se voir condamner à des peines manifestement disproportionnées par rapport à la gravité réelle des faits lui reprochés, en cas de retour dans son pays.

Les demandeurs ajoutent qu’il ressortirait du rapport de l’Organisation internationale des migrations sur les demandeurs d’asile en provenance de l’Europe du Sud-Est couvrant la période de mai à juillet 2000, qu’il serait fort probable que les personnes qui avaient refusé de donner suite à une convocation seraient, dès leur retour, arrêtées par la police militaire et que le rapatriement de ces personnes dans leur pays d’origine ne serait pas évident aussi longtemps que les autorités fédérales yougoslaves n’auront pas adopté une loi d’amnistie générale.

2 Les demandeurs relèvent par ailleurs qu’en raison de leur appartenance à la minorité ethnique des Bosniaques, ils risqueraient d’être sujets à des persécutions sérieuses en cas de retour, étant donné que les ressortissants bosniaques seraient victimes de nombreuses discriminations de la part des autorités fédérales et monténégrines, discriminations dont l’épisode relatée par Monsieur HALILOVIC au cours de son audition, relative à des coups de matraques reçus par des réservistes au cours d’un contrôle d’identité seraient une parfaite illustration.

Ils terminent en soulignant que les récents affrontements entre l’armée yougoslave et des milices albanaises à la frontière entre le Kosovo et le sud de la Serbie démontreraient à suffisance que si le demandeur avait été enrôlé dans l’armée yougoslave, il aurait été obligé à participer à des opérations militaires allant à l’encontre de ses convictions religieuses. Quant à la référence à une prétendue bonne situation générale dans un pays, les demandeurs estiment qu’elle ne permettrait pas d'exclure tout risque de persécution individuelle au sein de ce pays et relèvent plus particulièrement qu’en ce qui concerne la République fédérale de Yougoslavie, rien n’indiquerait qu’à l’heure actuelle le changement du personnel au niveau du pouvoir fédéral entraînerait également un changement dans l’attitude du pouvoir à l’égard des minorités ethniques ou religieuses respectivement des groupements politiques qui s’engagent pour la défense des intérêts desdites minorités, de même que le sort de la minorité musulmane en Serbie ne bénéficierait d’aucune amélioration du fait du changement politique intervenu au niveau fédéral.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 28 juillet 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe 3 social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de la désertion, il convient de rappeler que la désertion n’est pas en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Comme les conflits armés ont cessé en République fédérale de Yougoslavie, il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve imposerait actuellement la participation à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. En ce qui concerne la crainte de se voir citer devant un tribunal et d’être condamné pour avoir commis la désertion, il y a lieu de relever qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République fédérale de Yougoslavie, de sorte que les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Le rapport de l’Organisation internationale des migrations invoqué par le demandeur concerne la situation des demandeurs d’asile au Luxembourg provenant essentiellement du Monténégro et non pas de la Serbie et sur les éventuelles possibilités de rapatriement de ces personnes. Le rapport s’étend sur des observations faites pendant la période de mai à juillet 2000. Il ne peut donc pas être utilement invoqué par le demandeur pour asseoir la situation actuelle dans son pays d’origine d’autant plus qu’entre temps une loi d’amnistie générale a été adoptée au niveau fédéral.

En ce qui concerne l’appartenance des demandeurs à la minorité ethnique des Bosniaques en Serbie, la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les époux HALILOVIC-FACOVIC, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion. Il n’est dès lors pas établi que le retour éventuel des demandeurs dans leurs pays d’origine risque de constituer actuellement un danger sérieux pour leurs personnes. De même les coups de matraque dont Monsieur HALILOVIC fait état, même à les supposer établis, ne dénotent pas en l’espèce une gravité telle qu’ils puissent justifier l’existence dans son chef d’une crainte raisonnable de persécution.

En fin de compte, s’il est vrai que l’engagement de la Yougoslavie dans un processus de démocratisation ne permet pas d’exclure tout risque de persécution individuelle, le tribunal se doit de constater que les demandeurs restent en défaut d’apporter un quelconque élément concret lui permettant de retenir un éventuel risque de persécution ou une persécution dans le chef des demandeurs.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une crainte raisonnable de persécution leur rendant le retour dans leur pays impossible, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté leur demande en obtention du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 4 au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 22 octobre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13083
Date de la décision : 22/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-22;13083 ?

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