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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13345

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13345


Tribunal administratif N° 13345 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par les époux … MEHOVIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13345 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2001 par Maître Alexandra CORRE, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … MEHOVIC, né le … à Bijelo Polje (Montén...

Tribunal administratif N° 13345 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par les époux … MEHOVIC et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13345 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2001 par Maître Alexandra CORRE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … MEHOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leur fille … MEHOVIC, née le …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 novembre 2000, leur notifiée le 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 août 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 août 2001 par Maître Alexandra CORRE au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Alexandra CORRE et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique 8 octobre 2001.

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En date du 12 octobre 1998, les époux … MEHOVIC et … …, préqualifiés, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’au nom et pour compte de leur fille …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des 1 réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux MEHOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux MEHOVIC-… furent entendus séparément en date du 26 octobre 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 15 novembre 2000, leur notifiée le 8 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux MEHOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte d’une condamnation du chef d’insoumission invoquée à l’appui de leur demande ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.

Par courrier de leur mandataire datant du 5 mars 2001, les époux MEHOVIC-… ont fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 novembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 29 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux par requête déposée en date du 27 avril 2001 tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 15 novembre 2000 et 29 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane. Ils font valoir que le simple fait pour Monsieur MEHOVIC d’avoir refusé d’être enrôlé au sein des forces militaires yougoslaves serait de nature à être interprété par le pouvoir en place comme l’expression d’une conviction politique, laquelle serait susceptible d’emporter des sanctions disproportionnées dans son chef. Ils relèvent en outre que le refus de Monsieur MEHOVIC d’être enrôlé dans les forces militaires réservistes yougoslaves aurait été motivé par les comportements discriminatoires dont seraient victimes les militaires de confession musulmane. Ils se réfèrent en outre à des rapports d’organisations internationales pour soutenir que les personnes enrôlées de force auraient été forcées de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le cadre de l’intervention militaire au Kosovo et que la loi d’amnistie votée par le parlement du Monténégro ne serait pas appliquée en fait, étant donné qu’elle serait en contradiction avec la loi fédérale, de sorte qu’en cas de retour dans son pays d’origine, Monsieur MEHOVIC risquerait d’être arrêté par les autorités militaires dès qu’il traverserait les frontières.

2 Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font encore ajouter, concernant l’insoumission de Monsieur MEHOVIC, que l’effectivité de la loi d’amnistie telle qu’adoptée par le parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001 ne serait pas totale et qu’il résulterait des documents versés au dossier qu’elle ne serait pas applicable à ceux qui, par leur départ à l’étranger, auraient refusé de prendre les armes et se seraient insoumis à l’appel. Dans la mesure où l’insoumission serait par ailleurs constitutive d’un délit continu, les demandeurs estiment que Monsieur MEHOVIC risquerait toujours d’être condamné.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MEHOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux MEHOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MEHOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 26 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur MEHOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

3 En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur MEHOVIC risquerait encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement. Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, en présence de Monsieur Schmit, greffier en chef.

4 Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13345
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13345 ?

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