Tribunal administratif N° 13343 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001
===============================
Recours formé par les époux … ALIJA et … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
-----------------------
Vu la requête inscrite sous le numéro 13343 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2001 par Maître Anne MOREL, avocat à la Cour, assistée de Maître Jean-François TRAPP, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … ALIJA, né le … à Radonjic/Djakovica (Kosovo/Yougoslavie), et … …, née le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … et …, né le …, demeurant actuellement ensemble à L-5885 Hesperange, 299, route de Thionville, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 janvier 2001, leur notifiée le 20 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 29 mars 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Jean-François TRAPP et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 octobre 2001.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le 26 janvier 1999, les époux ALIJA-…, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Ils furent en outre entendus séparément en date du 11 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux ALIJA-…, par lettre du 3 janvier 2001, leur notifiée en date du 20 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs que la destruction de leur maison, invoquée à l’appui de leur demande, à la supposer établie, ne serait pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés par la Convention de Genève et que, pour le surplus, les motifs invoqués traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Par la même décision le ministre signala aux demandeurs que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies y est installée pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies ont été mises place.
Par lettre du 16 mars 2001, les époux ALIJA-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2001.
Par décision du 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 27 avril 2001, les époux ALIJA-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 janvier et 29 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours les demandeurs exposent être originaires de la province yougoslave du Kosovo dont la situation serait encore loin d’être définitivement réglée, étant donné que de nombreuses exactions y seraient encore perpétrées par des groupes armés échappant à tout contrôle. Quant à leur situation personnelle ils signalent que Monsieur ALIJA aurait été activement recherché par les autorités serbes au moment où il a quitté le Kosovo, étant donné que ces dernières lui reprocheraient des faits qualifiés de trahison et de déstabilisation du régime en place. Ils signalent en outre que tous leur biens privés auraient été détruits par les Serbes, y compris leur maison, laquelle aurait été détruite lors d’un bombardement de l’armée serbe. Ils expliquent encore que les autorités serbes auraient reproché à Monsieur ALIJA d’avoir procédé à un recrutement actif pour l’armée de libération du Kosovo, sous le couvert de ses activités en tant que vice-président d’un club de football.
Dans la mesure où les faits lui ainsi reprochés à tort par les autorités serbes lui auraient sans doute valu une condamnation à de lourdes peines, voire à la peine capitale, ils auraient décidé 2 de quitter leur pays, ce d’autant plus que Monsieur ALIJA aurait déjà été par le passé, arrêté, interrogé et maltraité par les autorités serbes et que plusieurs membres de sa famille aurait été arrêtés par ces dernières au moment où les demandeurs ont quitté le pays.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de des époux ALIJA-… et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux ALIJA-… lors de leurs auditions respectives en date du 11 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécutions du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, interrogé sur les raisons qui l’empêcheraient à l’heure actuelle de rentrer dans son pays, Monsieur ALIJA a déclaré qu’il voudrait d’abord gagner un peu d’argent pour pouvoir réparer le toit de sa maison et qu’il espère pouvoir rester encore un certain temps au Luxembourg pour que ses enfants apprennent des langues, étant donné que cela leur serait bénéfique pour l’exploitation de l’agence de voyage familiale. Il a précisé par ailleurs qu’il ne demande pas l’asile politique « mais l’asile économique ». Quant à son épouse, Madame …, elle a déclaré avoir quitté son pays d’origine à cause de la guerre et qu’aujourd’hui elle n’aurait plus vraiment peur, mais que la situation serait toujours confuse, étant donné qu’il y aurait des assassinats, ce qui prouverait que le Kosovo ne serait pas encore sûr.
A ce titre, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces 3 de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que les demandeurs n’ont, à l’heure actuelle, plus de raison de craindre dans leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, une persécution de la part des autorités serbes.
Les demandeurs soutiennent encore que la situation au Kosovo ne serait pas encore vraiment sure.
Or, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Il y a lieu de relever à cet égard que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p.
113, nos 73-s, Bruxelles, Bruylant, 1998).
En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, en l’occurrence par la population serbe qui réside toujours au Kosovo, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. En l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, duquel il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, ils risquent de subir des traitements discriminatoires, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;
le déclare également recevable en la forme ;
4 au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 5