Tribunal administratif N° 13309 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par les époux … MARTINOVIC et … …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13309 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … MARTINOVIC, né le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), et … …, née … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 février 2001, leur notifiée le 21 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 août 2001 par Maître François MOYSE au nom des demandeurs ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Claudia MONTI, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 octobre 2001.
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En date du 29 juin 1999, les époux … MARTINOVIC et … …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Les époux MARTINOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-
ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Ils furent en outre entendus séparément en date du 2 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux MARTINOVIC-…, par lettre du 27 février 2001, notifiée en date du 21 mars 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif que la seule crainte d’une peine du chef d’insoumission ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève et que leurs dires reflèteraient davantage un sentiment d’insécurité générale qu’une véritable crainte de persécutions pouvant entrer dans le champ de l’article 1er A. 2 de la Convention de Genève. Le ministre a signalé par ailleurs que le régime politique en Yougoslavie aurait changé depuis le mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.
Par requête déposée en date du 19 avril 2001, les époux MARTINOVIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 27 février 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font d’abord valoir que la décision ministérielle déférée serait entachée d’illégalité en ce qu’elle ne remplirait pas l’exigence de motivation inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal modifié du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.
Or, force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision ministérielle déférée que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs tant en droit qu’en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés à suffisance de droit à la connaissance des demandeurs.
Quant au fond les demandeurs font valoir que Monsieur MARTINOVIC risquerait d’encourir une condamnation pénale pour cause d’insoumission laquelle risquerait d’être totalement disproportionnée par rapport à l’infraction commise, les peines afférentes pouvant être supérieures à 20 ans, et qu’il y aurait lieu de constater que cette insoumission aurait eu 2 pour origine les convictions religieuses de Monsieur MARTINOVIC qui aurait refusé de tuer ses frères de sang, de manière à rentrer sous les prévisions de la Convention de Genève. Les demandeurs estiment qu’il ne faudrait pas non plus négliger les conditions carcérales auxquelles Monsieur MARTINOVIC serait confronté en cas de retour dans son pays. Ils relèvent par ailleurs que Monsieur MARTINOVIC aurait été membre du parti politique SDA afin de tenter d’assurer une certaine protection des musulmans et que, depuis lors, il n’aurait plus pu se déplacer librement dans son pays et aurait fait l’objet de plusieurs arrestations aux points de contrôle.
Dans leur mémoire en réplique les demandeurs insistent qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève pourrait également être celle de personnes qui veulent éviter de se trouver à l’avenir dans une situation où elles pourraient être persécutées et relèvent que les musulmans monténégrins auraient fait et feraient toujours l’objet d’un nettoyage ethnique systématique, de sorte qu’il serait illusoire de croire que par la simple institution d’un régime dit démocratique, les anciennes haines et tendances racistes soient balayées d’un jour à l’autre. Ils relèvent par ailleurs que même à croire que les menaces et risques de persécution ne viennent pas directement des autorités monténégrines, il y aurait bien nombre de groupes de la population monténégrine qui causeraient danger aux demandeurs et que dans la mesure où cette situation serait tolérée par les autorités locales, il serait évident qu’ils ne pourraient pas compter sur la protection des autorités monténégrines pour assurer la sauvegarde de leurs intérêts.
Ils émettent par ailleurs des doutes sur l’effectivité de la loi d’amnistie versée au dossier par le représentant étatique en faisant valoir que pour pouvoir en bénéficier, l’infraction aurait dû cesser de continuer après le 7 octobre 2000 ce qui ne serait pas le cas de Monsieur MARTINOVIC qui n’est pas retourné dans son pays avant cette date.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts MARTINOVIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts MARTINOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 2 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des 3 procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur MARTINOVIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.
Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que le jugement prononcé en date du 26 août 1998 est encore exécuté effectivement.
Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue, et que les personnes ayant quitté le pays ne tomberaient pas sous le champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ayant pris la fuite vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par les affirmations du représentant étatique suivant lesquelles le nouveau régime politique de la République Fédérale Yougoslave ferait de cette loi « une priorité politique absolue ».
Ensuite, concernant les prétendues persécutions subies par les demandeurs et les risques de persécutions en raison des activités politiques de Monsieur MARTINOVIC, il convient de relever que les interrogatoires et perquisitions effectués par la police civile et militaire constituent certainement, à les supposer établis, des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas, en l’espèce, une gravité telle qu’ils justifient, à l’heure actuelle, l’existence d’une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs.
Les arguments et déclarations faites par les demandeurs constituent pour le surplus plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils fassent état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.
4 Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Lenert 5