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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13283

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13283


Tribunal administratif N° 13283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le13 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par les époux … JASAROVIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13283 du rôle et déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean

-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des...

Tribunal administratif N° 13283 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le13 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par les époux … JASAROVIC et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13283 du rôle et déposée le 13 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Georges GREMLING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … JASAROVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 janvier 2001, notifiée le 21 février 2001, refusant de faire droit à leur demande d’asile, et confirmée sur recours gracieux par le même ministre par décision du 29 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001 par Maître Jean-Georges GREMLING au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en ses plaidoiries à l’audience publique du 8 octobre 2001.

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En date du 22 juin 1999, les époux … JASAROVIC et … …, préqualifiés, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

En date du 22 décembre 1999, les époux JASAROVIC-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux JASAROVIC-… par lettre datant du 26 janvier 2001, leur notifiée en date du 21 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’il ressortirait de leurs déclarations qu’ils auraient un sentiment général d’insécurité, lequel ne serait pas constitutif d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que la crainte de Monsieur JASAROVIC d’encourir une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas non plus suffisante pour établir une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par la même décision le ministre signala que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement.

A l’encontre de cette décision, les époux JASAROVIC-… furent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 14 mars 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 29 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 26 janvier 2001 par requête déposée en date du 13 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal.

Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Quant au fond, les demandeurs exposent être originaires du Monténégro et de confession musulmane. Ils font valoir que Monsieur … JASAROVIC aurait reçu trois convocations pour la réserve militaire en mars 1999, qu’il aurait refusé de donner suite aux deux premières et que, lorsque la police militaire aurait apporté la troisième convocation, il aurait été amené à l’aéroport de Berane, d’où il aurait réussi à prendre la fuite. Les demandeurs soutiennent que cet acte d’insoumission aurait été motivé par le fait Monsieur JASAROVIC aurait refusé d’être forcé de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans le cadre de l’intervention militaire au Kosovo. Ils font valoir qu’en raison de cette insoumission Monsieur JASAROVIC risquerait actuellement une condamnation pénale en cas de retour dans son pays d’origine, laquelle pourrait être de l’ordre de vingt années de prison, tout en relevant que de nombreux demandeurs d’asile auraient subi des exactions et arrestations lors du retour forcé dans leur pays. Ils signalent en outre que Monsieur JASAROVIC aurait été membre d’un parti d’opposition depuis 1998, en l’occurrence le parti DPS de Monsieur Djukanovic, qu’il aurait été maltraité psychiquement par ses collègues de travail en raison de son appartenance à ce parti politique et qu’il risquerait aussi des persécutions en raison de sa religion. Quant à leur situation individuelle, les demandeurs se réfèrent à la situation difficile qui régnerait au Monténégro pour les 2 minorités ethniques, ainsi qu’à la circonstance que l’appartenance au parti DPS de Monsieur JASAROVIC n’aurait fait qu’accentuer les tensions et l’angoisse de toute la famille.

Le délégué du Gouvernement se réfère à la loi d’amnistie qui a été adoptée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 selon laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave seraient amnistiées, pour soutenir qu’en tout état cause le moyen fondé sur l’insoumission de Monsieur JASAROVIC laisserait d’être fondé au vu de la situation actuelle dans son pays d’origine. Quant à la situation générale au Monténégro invoquée par les demandeurs, ainsi qu’à leur appartenance à la minorité musulmane, le représentant étatique rétorque que la situation générale du pays d’origine d’un demandeur d’asile ne justifierait pas à elle seule la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font valoir qu’il serait permis de douter de l’application effective et rigoureuse de la loi d’amnistie invoquée par le délégué du Gouvernement, laquelle ne garantirait pas l’amnistie à tous ceux qui, par leur départ à l’étranger, ont refusé de prendre les armes ou ne se sont pas soumis à l’appel. Ils relèvent plus particulièrement à cet égard que la loi d’amnistie laisserait un vide juridique en ne précisant pas les délais accordés pour rentrer au pays, se présenter auprès des organes compétents et régulariser le statut. Ils signalent encore que dans la mesure où la non-réponse à l’appel et l’insoumission au service militaire constitueraient des délits continués, l’infraction y relative serait constituée jusqu’au moment de la présentation de la personne concernée devant un organe étatique compétent, de sorte que les personnes ayant été dans l’impossibilité de se présenter avant le 7 octobre 2000 risqueraient toujours d’être condamnées rétroactivement.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 22 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs 3 convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur JASAROVIC, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire des demandeurs, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur JASAROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que Monsieur JASAROVIC n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considération avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juin 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Enfin, les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant remarqué que les difficultés par eux alléguées avec les collègues de travail de Monsieur JASAROVIC ne sont pas de nature suffisamment grave à leur rendre la vie intolérable dans leur pays d’origine et qu’en ce qui concerne les craintes de persécution en raison de l’activité politique de Monsieur JASAROVIC, les demandeurs restent encore en défaut d’établir des éléments suffisamment concrets pour soutendre les raisons de cette crainte.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par :

4 Mme Lenert, premier juge M. Spielmannn, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13283
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13283 ?

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