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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13260

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13260


Numéro 13260 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13260 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Paul THEVES, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CRNOVRSANIN, né le ...

Numéro 13260 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … CRNOVRSANIN, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13260 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Paul THEVES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … CRNOVRSANIN, né le … à Niksic (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2001 par Maître Paul THEVES pour compte de Monsieur CRNOVRSANIN;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Carine ALTMEIER, en remplacement de Maître Paul THEVES, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er octobre 2001.

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Le 28 mars 2000, Monsieur … CRNOVRSANIN, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur CRNOVRSANIN fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur CRNOVRSANIN fut entendu en date du 30 novembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur CRNOVRSANIN par lettre du 9 février 2001, notifiée en date du 16 mars suivant, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécutions susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet du 9 février 2001, Monsieur CRNOVRSANIN a fait introduire un recours en réformation par requête déposée le 12 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, expose avoir subi des provocations de la part des Serbes en raison de sa religion, de manière à ne pas se sentir en sécurité dans son propre pays. Il relève que son père, Monsieur Idriz CRNOVRSANIN, ayant revêtu le rang de sergent dans l’armée yougoslave, aurait déserté au moment où son unité aurait été stationnée près de Golubovac au Monténégro afin d’éviter les provocations et persécutions subies de la part des Serbes du fait de sa religion musulmane et que la désertion d’un cadre de l’armée serait « très sévèrement punie », ainsi qu’en témoignerait un article paru dans le journal « VESTI » du 13 mars 2001 relatant l’arrestation et la mise en prison d’un sous-officier de l’armée yougoslave qui tentait de franchir la frontière, pour conclure que, « par extension, s’il retournait dans son pays, sa vie serait également gravement menacée ». Il renvoie encore à la convocation afin de se présenter pour le contrôle médical d’aptitude pour le service militaire à laquelle il n’aurait pas donné suite, fait pour lequel il risquerait personnellement d’être « puni sévèrement ». Il soutient que sa vie serait partant sérieusement menacée dans son pays d’origine en raison des éléments 2 susénoncés pour conclure à la réformation de la décision ministérielle entreprise pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la désertion ne constituerait pas à elle seule un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, qu’une loi d’amnistie aurait été adoptée au mois de mars 2001 par le parlement yougoslave et que le UNHCR aurait en substance confirmé ne pas avoir connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs qui n’auraient pu bénéficier de cette loi. Le représentant étatique renvoie encore à la nouvelle situation politique régnant en Yougoslavie suite à l’élection d’un nouveau président et la constitution d’un nouveau gouvernement démocratiquement élu.

Le demandeur fait répliquer qu’il aurait constamment subi des provocations, insultes et humiliations de la part de soldats serbes en raison de sa religion musulmane et qu’il ferait partant valoir une persécution effective en considération de sa religion. Il estime que la désertion de son père de l’armée yougoslave serait « punie très sévèrement », d’autant plus qu’il aurait été un gradé, fait qui serait établi par l’article susvisé paru dans le journal « VESTI » du 13 mars 2001, et que sa propre vie serait dès lors également gravement menacé « par extension », son propre refus de donner suite à la convocation pour le contrôle médical d’aptitude pour le service militaire pouvant de plus emporter la conséquence qu’il soit lui-

même considéré comme déserteur. Concernant la loi d’amnistie invoquée par le délégué du Gouvernement, il fait valoir qu’elle ne serait pas de nature à exclure un risque de poursuites dans son chef et que cette même amnistie ne serait pas encore effective, de sorte qu’il pourrait craindre avec raison un danger pour sa personne en cas de retour au Monténégro.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en dates du 30 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte 3 actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort d’un jugement du tribunal du 17 octobre 2001 (n° 13259 du rôle) que Monsieur Idiz CRNOVRSANIN reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance et que c’est partant à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il s’ensuit que la demande d’asile du demandeur laisse pareillement d’être fondée dans la mesure où il se base sur la situation de son père pour conclure que, « par extension, s’il retournait dans son pays, sa vie serait également gravement menacée ».

En second lieu, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission personnelle du demandeur n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, la subsistance d’un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission ou d’exécution effective d’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef laisse d’être établie en l’espèce. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Enfin, les provocations de la part des Serbes en raison de sa religion alléguées par le demandeur ne sauraient constituer un motif suffisant pour lui reconnaître le statut de réfugié, étant donné que le demandeur se confine à y faire référence sans préciser leur nature et leur fréquence, de manière à n’avoir mis ni le ministre ni le tribunal en mesure d’apprécier leur gravité réelle.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, 4 condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13260
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13260 ?

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