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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13185

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13185


Tribunal administratif Numéro 13185 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par les époux … DZEMAILI et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13185 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … DZEMAILI, né le … à Vraniste (Ko

sovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame … …, née le … à Vrani...

Tribunal administratif Numéro 13185 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 avril 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par les époux … DZEMAILI et … … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13185 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2001 par Maître Christian GAILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … DZEMAILI, né le … à Vraniste (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, et de son épouse, Madame … …, née le … à Vraniste (Kosovo/Yougoslavie), agissant pour eux-mêmes, ainsi que qu’en nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, né le … à Kraljevo (Monténégro/Yougoslavie) et …, née le … à Padgorica (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 8 janvier 2001 en ce qu’il a refusé leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2001 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Christian GAILLOT déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Christian GAILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 1er octobre 2001.

Le 24 août 2000, Monsieur … DZEMAILI et son épouse Madame … …, agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour les époux DZEMAILI-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la Police grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 18 septembre 2000, Monsieur DZEMAILI et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 8 janvier 2001, notifiée le 6 mars 2001, le ministre de la Justice informa les époux DZEMAILI-…, leur fils … et leur fille …, que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées aux motifs qu’ils n'invoqueraient aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social. En effet dans le chef de Monsieur DZEMAILI, la désertion et les menaces invoquées, mêmes à les supposer établies, ne seraient pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Madame … n’invoquerait aucun motif concret pouvant justifier une crainte de persécution justifiée.

Le 5 avril 2001, les époux DZEMAILI-… ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineurs, au greffe du tribunal administratif, un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 8 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs, de nationalité yougoslave, de confession musulmane et appartenant à la minorité goranaise, font valoir qu’ils auraient vécu à Vraniste jusqu’à ce qu’ils seraient partis au Monténégro à Padgorica étant donné que le régiment auquel appartenait Monsieur DZEMAILI y aurait été muté. Il serait resté sept ans dans l’armée yougoslave jusqu’à sa désertion en août 2000, il n’aurait pas eu le droit de porter une arme et il aurait dû subir de multiples brimades dues à son appartenance à la miniorité des Goranais. Ces brimades seraient devenues de plus en plus fréquentes, de sorte qu’il se serait résigné à déserter en août 2000 et à fuir le pays avec sa famille afin d’éviter des réprésailles.

En ce qui concerne la situation actuelle au Kosovo et leur situation personnelle, les demandeurs font valoir que les habitants du Kosovo et plus particulièrement les minorités ethniques telles que les Gorans ne seraient nullement en sécurité. En effet les soldats des Nations-Unis présents au Kosovo préviendraient tous conflits inter-ethniques mais n’empêcheraient pas des actions violentes isolées à l’encontre de certaines personnes. En date du 16 février 2001, une bombe aurait tué onze personnes au Kosovo. Les Gorans seraient plus visés que d’autre et feraient l’objet d’enrôlement de force et le refus de se soumettre ferait l’objet de menaces de mort. L’ambiance actuelle serait anarchique au Kosovo alors que des bandes armées et autres fanatiques rançonneraient les habitants et notamment les minorités, ni l’armée ni la police n’arriveraient à garantir aux habitants une totale sécurité. Même les membres du HCR reconnaîtraient l’état anarchique au Kosovo et l’incapacité pour les organismes internationaux d’assurer la sécurité des habitants. Tous ces faits démontreraient que les demandeurs auraient raison de craindre pour leur sécurité.

Quant à la désertion, ils précisent que la loi d’amnistie ne protégerait pas les déserteurs.

Monsieur DZEMAILI pourrait être accusé de trahison par les Serbes qui pourraient lui reprocher d’avoir livré des secrets militaires aux puissances étrangères. Son grade de 2 « Capitaine » lui aurait permis d’avoir connaissance de certaines informations secrètes, de sorte que le risque de poursuite malgré la loi d’amnistie serait beaucoup plus élevé pour un gradé que pour un soldat ordinaire. Il aurait tout à craindre d’un retour au pays, alors qu’en tant qu’ancien officier de l’armée serbe, il aurait toutes les chances d’être incarcéré, sinon exécuté avec sa famille.

Les demandeurs ajoutent qu’il n’existerait aucun endroit en Ex-Yougoslavie où ils pourraient s’installer en toute sécurité, ils n’auraient vécu qu’à Vraniste jusqu’à ce qu’ils seraient partis au Monténégro à Padgorica. A Vraniste leur sécurité ne serait nullement assurée dès que les amis et la famille seraient partis depuis longtemps à l’étranger. Les Albanais pourraient être tentés de leur faire payer leur appartenance à l’armée yougoslave. Au Monténégro ils n’auraient aucune attache familiale ou amicale et en plus l’armée et la police serbe y seraient implantées, de sorte qu’ils risqueraient d’être arrêtés. A tout cela s’ajouteraient les problèmes liés à leur appartenance à la minorité ethnique des Gorans. Ils concluent qu’ils craindraient réellement pour leur vie tout portant à croire qu’un retour au pays mettrait leur intégrité physique en danger et que leur crainte trouverait son origine dans des motifs d’ordre ethnique et politique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En ce qui concerne les persécutions commises par des tiers et non par les autorités étatiques, elles ne sauraient être retenues que si les autorités étatiques tolèrent ces actes ou si elles sont incapables d’offrir une protection contre ces actes. Ce défaut de protection doit être mis suffisamment en évidence par les demandeurs.

Il y a cependant lieu de relever que, s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Gorans, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la 3 Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asiles risquent de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit une crainte personnelle de persécution, voire une incapacité des autorités en place d’assurer leur protection. En effet les pièces qu’ils versent, notamment les articles de journaux et les déclarations des responsables d’organisations internationales, tout en illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo et la situation difficile des minorités, ne démontrent pas en quoi les demandeurs seraient tout particulièrement touchés dans leur situation personnelle.

En ce qui concerne le moyen invoqué de la désertion, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

D’ailleurs une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001 et est entrée en vigueur au mois de mars 2001, de sorte que les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission, ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées. Cette conclusion ne saurait être énervée par la pièce versée à cet effet par les demandeurs. Cet article de presse est daté du 13 mars 2001 et son contenu ne permet pas de dégager si à l’époque des faits y relatés, la loi d’amnistie était déjà en vigueur ou non. En ce qui concerne l’argument selon lequel le risque de poursuites malgré la loi d’amnistie serait plus élevé pour un gradé que pour un soldat, il y a lieu de préciser que la loi d’amnistie vise indistinctement toute personne qui jusqu’en date du 7 octobre 2000 a commis ou est soupçonnée d’avoir commis la désertion des unités yougoslaves.

Quant à leur crainte invoquée des Albanais au Kosovo et des Serbes au Monténégro en cas de retour dans leur pays, force est de constater qu’elle s’analyse en un sentiment général d’insécurité et que les multiples brimades dont Monsieur DZEMAILI fait état, à les supposer établies, constituent des pratiques certes condamnables, mais ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef des demandeurs.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

C’est donc à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté, leur demande en obtention du statut de réfugié comme étant non fondée.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 :

Mme Lenert, premier juge, Monsieur Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13185
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13185 ?

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