Numéro 13101 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13101 du rôle, déposée le 21 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, assisté de Maître Léon GLODEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MURATOVIC, né le … à Petnica/Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-1249 …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 19 février 2001 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Annick DENNEWALD, en remplacement de Maître Pierre ELVINGER, et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.
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Le 7 juillet 1999, Monsieur … MURATOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur MURATOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur MURATOVIC fut entendu en date du 8 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur MURATOVIC, par lettre du 12 octobre 2000, lui notifiée en date du 16 janvier 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.
Le recours gracieux introduit par Monsieur MURATOVIC moyennant courrier de son mandataire du 12 février 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 19 février 2001, il a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet par requête déposée le 21 mars 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié politique, ce même recours étant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable dans la même mesure.
Les conclusions du demandeur critiquant l’invitation à quitter le territoire lui faite à travers la décision ministérielle déférée du 19 octobre 2000, et confirmée implicitement par celle du 19 février 2001, s’analysent en un recours contre ledit volet de ces décisions. Aucune disposition légale n’instaurant un recours au fond à l’encontre d’une telle décision, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit dans cette mesure. Le recours subsidiaire en annulation est partant recevable dans cette même mesure pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane, qu’il aurait été dispensé de plusieurs convocations pour rejoindre l’armée serbe en raison de ses études universitaires, mais qu’il n’aurait pas pu continuer ses études au début de l’année 1999 suite au refus des professeurs serbes de poursuivre l’enseignement, entraînant qu’il aurait perdu à ce moment le statut d’étudiant le protégeant contre son enrôlement. Il fait valoir qu’au moment d’avoir eu notification de sa dernière convocation pour l’armée, il aurait quitté Petnica pour s’enfuir vers le Luxembourg alors qu’il refuserait de faire son service militaire qui « aurait comme unique finalité de l’impliquer dans un conflit armé le forçant ainsi à torturer et/ou tuer d’autres êtres humains », l’armée serbe ne pouvant par ailleurs être considérée à son avis comme armée régulière. Il soutient qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire « pour y être jugé comme traître et risquer d’être tué à cause de sa religion musulmane ». Le demandeur soutient qu’une crainte devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle serait 2 basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et qu’elle découlerait en l’espèce du manquement de son pays d’origine de remplir ses obligations de protection de ses citoyens découlant des engagements des Etats au titre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la mise en cause des droits civils et politiques consacrés par ce texte devant être admise comme constituant une persécution. Dans la mesure où les faits par lui exposés révéleraient une violation de ses droits découlant de la Déclaration susvisée, le demandeur conclut que le ministre aurait retenu à tort l’absence d’une crainte fondée de persécution dans son chef.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.
En cours de procédure contentieuse, le demandeur a pu prendre inspection, par l’intermédiaire de son mandataire, d’une traduction de la loi d’amnistie votée récemment par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave produite en cause par le délégué du Gouvernement.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 1/2001, v° Etrangers, n° 29).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 8 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que, d’une part, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une 3 crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore la subsistance d’un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée à l’heure actuelle. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.
Etant donné qu’il résulte des développements qui précèdent que les faits avancés par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile ne justifient pas la reconnaissance du statut afférent, les violations alléguées de la Convention universelle des droits de l’homme ne sauraient non plus justifier la réformation de la décision ministérielle critiquée dans la mesure où elles se fondent sur les mêmes faits.
Quant à l’invitation à quitter le territoire contenue dans la décision ministérielle déférée du 12 octobre 2000 et réaffirmée implicitement par la décision confirmative du 19 février 2001, force est de constater que le demandeur se confine à conclure à l’annulation de ce volet des décisions ministérielles déférées sans soumettre au tribunal un quelconque moyen à l’appui de cette revendication. Dans la mesure où le ministre a valablement pu se fonder sur l’article 13 de la loi prévisée du 3 avril 1996 pour inviter le demandeur à quitter le territoire luxembourgeois et où cette mesure ne prend effet qu’après un mois à partir du moment où la décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique aura acquis autorité de chose décidée, le recours laisse pareillement d’être fondé dans ce volet.
Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre les décisions ministérielles litigieuses en ce qu’elles portent rejet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié politique du demandeur, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable dans cette même mesure, 4 se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre l’invitation à quitter le territoire contenue dans les décisions ministérielles litigieuses, reçoit le recours en annulation en la forme dans cette même mesure, au fond, le déclare non fondé et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par:
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.
SCHMIT LENERT 5