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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13079

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13079


Tribunal administratif Numéro 13079 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … HOTI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13079 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001 par Maître Marie-Paul RIES, avocat à la Cour, assistée de Maître Olivier TAMAIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HOTI

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Tribunal administratif Numéro 13079 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … HOTI, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13079 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001 par Maître Marie-Paul RIES, avocat à la Cour, assistée de Maître Olivier TAMAIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … HOTI, né le … à Vuctrin (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 4 octobre 2000 et 19 février 2001, la première refusant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision et partant confirmant cette dernière ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier TAMAIN, et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2001.

Après que son autorisation de séjour n’avait pas été prolongée, Monsieur … HOTI, introduisit, par courrier de son mandataire du 27 mai 1998, une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 19 août 1998, Monsieur HOTI fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 4 octobre 2000, notifiée le 15 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur HOTI de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, 1 de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que l’exercice de la profession de gardien de prison au Kosovo de 1989 à 1992 et l’appartenance à la communauté musulmane du Kosovo ne seraient pas suffisant pour constituer une crainte justifiée de persécution de nature à de lui rendre la vie intolérable dans son pays.

Le 8 février 2001, Monsieur HOTI fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision. Il fait valoir que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution, et notamment que son ancien métier de gardien de prison, aux ordres des autorités serbes, l’aurait amené à devoir garder, voir punir, certains prisonniers kosovars et albanais qui auraient aujourd’hui un certain pouvoir au Kosovo.

Par décision du 19 février 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 4 octobre 2000.

Le 19 mars 2001, Monsieur HOTI a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation contre la décision ministérielle de refus du 4 octobre 2000 et celle confirmative du 19 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur HOTI, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir qu’il aurait quitté un pays où Serbes et Albanais ne parviendraient pas à cohabiter, ce qui entraînerait un sentiment d’insécurité permanent. Il ajoute qu'il a exercé la profession de gardien instructeur à la prison de Smrekonice au Kosovo de 1989 à 1992, que les autorités serbes auraient tenté de lui faire signer une déclaration de loyauté, qu’ils auraient exercé des pressions sur lui afin qu’il maltraite les prisonniers albanais dont il avait la garde et que cette situation d’ennemi apparent pour ses compatriotes kosovars serait devenue insupportable eu égard au climat politique de l’époque. Toutes ces circonstances l’auraient amené à quitter son poste et son pays. Monsieur HOTI relève en plus qu’il aurait eu à souffrir de menaces de la part d’anciens prisonniers qui le considéreraient aujourd’hui comme un traître pour avoir travaillé pour les Serbes et avoir fui ensuite son pays en temps de guerre. Les personnes qui étaient à l’époque emprisonnées seraient aujourd’hui pour une large part en liberté et feraient régner la terreur sur une certaine partie de la population, du fait de leur appartenance à des milices ou à des organisations criminelles. Estimant que toutes ces raisons lui rendraient un retour dans son pays impossible, d’autant plus que la situation politique au Kosovo serait tout à fait instable, le demandeur soutient que la décision du ministre de la Justice serait à réformer, sinon à annuler pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur tant en fait qu’en droit, et que le recours laisserait d’être fondé.

2 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur HOTI lors de son audition du 19 août 1998 telle que celle-ci est relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Monsieur HOTI ne fait état d’aucune crainte raisonnable d’être personnellement persécuté. En effet il a déclaré lors de son audition qu’il n’a pas fait l’objet de persécutions personnelles. La crainte de tensions entre Serbes et Albanais au Kosovo, dont le demandeur se prévaut est en effet constitutive d’un sentiment général d’insécurité mais ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’exercice de sa profession de gardien de 1989 à 1992 et les pressions subies par les autorités serbes ne sauraient pas non plus justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que Monsieur HOTI a été licencié avec effet au 6 janvier 1992 de son poste de gardien pour absence injustifiée du 6 au 8 janvier 1992 (pièce N°4 versée par Maître TAMAIN) mais qu’il est arrivé au Luxembourg seulement le 13 janvier 1993, soit une année plus tard. D’ailleurs cette pièce est encore en contradiction avec les dires de Monsieur HOTI lors de son audition où il déclare « mes problèmes ont commencé en juillet ou août 1992. Des serbes sont venus chez moi à la prison. Ils voulaient que je signe un papier où je disais que je me soumettais à leurs ordres… » (v. rapport d’audition du 19 août 1998, p. 5).

La crédibilité des déclarations du demandeur est partant ébranlée à cet égard au vu des éléments du dossier.

La terreur exercée par des anciens prisonniers sur lui-même et sur une partie de la population, même à la supposer établie, ne saurait non plus valoir comme motif d’octroi du 3 statut au sens de la Convention de Genève. En effet une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. trib. adm. 22 mars 2000, Dzogovic, n° du rôle 11659, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n°32).

Or le demandeur n’établit pas que les forces de l’ONU présentes au Kosovo depuis juin 1999 ne seraient en mesure d’offrir une protection appropriée à la population au Kosovo. A cela s’ajoute que depuis fin 2000, la situation politique s’est considérablement modifiée en République fédérale de Yougoslavie, celle-ci s’étant engagée dans le processus de démocratisation.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une crainte raisonnable de persécution lui rendant le retour dans son pays impossible, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a refusé, après une saine appréciation tant en fait qu’en droit, la demande en obtention du statut de réfugié comme étant non fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, Monsieur Schroeder, juge, 4 Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13079
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13079 ?

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