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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13071

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 13071


Tribunal administratif Numéro 13071 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13071 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2001 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le â

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Tribunal administratif Numéro 13071 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13071 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mars 2001 par Maître Luc SCHANEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra CORTINOVIS, avocat, inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Bijelo Ploje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation de deux décisions du ministre de la Justice intervenues respectivement les 6 décembre 2000 et le 19 février 2001, la première refusant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision et partant confirmant cette décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Luc SCHANEN le 21 juin 2001 ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du Gouvernement le 27 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie JACQUET, en remplacement de Maître Luc SCHANEN, et Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 25 septembre 2001.

Le 16 juin 1999, Monsieur … ADROVIC, introduisit auprès du service compétent du ministre de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur ADROVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 18 juin 1999, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 6 décembre 2000, notifiée le 18 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur ADROVIC que sa demande avait été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que la simple crainte d’être enrôlé à la réserve ne serait pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution susceptible de lui rendre la vie intolérable dans son pays.

Le 12 février 2001, Monsieur ADROVIC introduisit par son mandataire un recours gracieux à l’encontre de cette décision. Il fait valoir que sa situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution et qu’en dépit du jugement qui pourrait être porté sur la situation actuelle en Ex-Yougolslavie, il importerait de prendre conscience que l’instabilité politique, religieuse et sociale serait toujours réelle, notamment à l’encontre des personnes de confession musulmane.

Par décision du 19 février 2001, le ministre de la Justice a confirmé sa décision du 6 décembre 2000.

Le 16 mars 2001, Monsieur ADROVIC a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours principalement en réformation et subsidiairement en annulation contre la décision ministérielle de refus du 6 décembre 2000 et celle confirmative du 19 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délais de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur ADROVIC fait valoir qu’il résulterait du rapport d’audition qu’il aurait subi un certain nombre de persécutions en raison de sa religion musulmane et qu’il aurait éprouvé une peur terrible d’être enrôlé et de devoir faire la guerre. Son père aurait dû partir à la guerre et lui-même ayant été le suivant sur la liste, il aurait préféré fuir son pays plutôt que de risquer de tuer un de ses frères de sang, ce qui aurait été en totale contradiction avec ses convictions religieuses. Il conclut qu’il aurait fait l’objet de discriminations qui s’analyseraient en une véritable persécution et qu’il craindrait encore aujourd’hui, en cas de retour dans son pays, être persécuté par les autorités serbes du fait de ses convictions religieuses et politiques et d’encourir de graves sanctions pour désertion malgré la loi d’amnistie du 26 février 2000. En effet il ne rentrerait pas dans le champ d’application de cette loi, dès lors que l’infraction d’insoumission serait une infraction continuée. Il aurait fallu, pour pouvoir en bénéficier, que l’infraction ait cessé de se continuer après le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce puisqu’il n’est pas retourné dans son pays avant cette date. En fin de compte il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision.

2 Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, qu’il aurait suffisamment motivé sa décision et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

L’examen des déclarations faites par Monsieur ADROVIC lors de son audition du 18 juin 1999, telle que celle-ci est relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Monsieur ADROVIC ne fait état d’aucune crainte raisonnable d’être personnellement persécuté. En effet il a déclaré lors de son audition qu’il n’a pas fait l’objet de persécutions personnelles. Concernant la peur des militaires serbes et de la guerre qu’il invoque, force est de constater que celle-ci est constitutive d’un sentiment général d’insécurité qui ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève (trib. ad. 7 octobre 1998, Flidja, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 33). En plus l’insoumission, même à la supposer établie dans le chef du demandeur, n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’il n’est pas établi que Monsieur ADROVIC risquait ou risque encore actuellement devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni encore qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuite en raison d’une éventuelle insoumission.

En effet une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001. Elle est entrée en vigueur au mois de mars 2001 et elle prévoit que les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission (art. 214 du Code pénal de la République fédérale 3 de Yougoslavie) sont amnistiées. Cette conclusion ne saurait, en l’état actuel du dossier, être énervée par les arguments avancés par le demandeur suivant lesquels l’insoumission serait une infraction continuée, étant donné que cette argumentation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens que seules les personnes qui seraient retournées dans leur pays avant le 7 octobre 2000 pourraient en bénéficier.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une crainte raisonnable de persécution lui rendant le retour dans son pays impossible, de sorte que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a refusé, avec une motivation suffisante, la demande en obtention du statut de réfugié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur au frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 17 octobre 2001 :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13071
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;13071 ?

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