Tribunal administratif N° 13037 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001 Recours formé par Madame … HONSIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13037 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 mars 2001 par Maître Paul MOUSEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne SINGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … HONSIC, née le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 décembre 2000, notifiée le 9 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 mai 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries respectives.
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Le 31 mai 1998, Madame … HONSIC, préqualifiée, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Madame HONSIC fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
En date du 3 juin 1999, Madame HONSIC fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Par décision du 14 décembre 2000, notifiée le 9 février 2001, le ministre de la Justice informa Madame HONSIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :
« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en avril 1999 pour vous rendre en Bosnie, puis en Croatie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en passant par la Slovénie, l’Italie et la France. Vous êtes arrivée en date du 31 mai 1999. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.
Vous exposez que vous voulez rester au Luxembourg jusqu’à un retour au calme dans votre pays d’origine. Vous aviez peur d’une extension du conflit au Monténégro. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Force est de constater que votre peur d’une extension du conflit au Monténégro reflète plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention. Un tel sentiment général ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.» Par requête déposée en date du 9 mars 2001, Madame HONSIC a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 14 décembre 2000.
2 Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.
A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer qu’elle est originaire du Monténégro et de religion musulmane, qu’elle aurait quitté son pays par peur que la guerre qui aurait sévi au Kosovo ne déborde au Monténégro, qu’étant de religion musulmane elle serait victime de persécutions en raison de ses convictions religieuses, que son frère se serait déjà expatrié au Luxembourg par crainte de persécutions, de sorte qu’il serait naturel qu’elle le rejoigne.
En droit, la demanderesse conclut à la réformation de la décision ministérielle pour erreur d’appréciation de faits.
En substance, elle reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec ses convictions religieuses et la situation générale de son pays d’origine, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame HONSIC et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie 3 également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame HONSIC.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame HONSIC lors de son audition en date du 3 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, force est de constater que les craintes de persécution formulées, en des termes très généraux, par la demanderesse en raison de ses convictions religieuses, de la situation générale des musulmans au Monténégro, ainsi que d’un prétendu risque qu’une guerre n’éclate au Monténégro, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que Madame HONSIC, considérée individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé dans son pays d’origine.
Il ressort de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Nonobstant le fait que la demanderesse n’était pas représentée à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
déclare le recours en annulation irrecevable;
condamne la demanderesse aux frais.
4 Ainsi jugé par:
M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 17 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Campill 5