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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12996

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 12996


Tribunal administratif N° 12996 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … BALIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12996 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2001 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Diekirch, au nom de M. … BALIC, né le … à Bijelo-Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mm...

Tribunal administratif N° 12996 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … BALIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12996 et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 mars 2001 par Maître Isabel DIAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … BALIC, né le … à Bijelo-Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje, agissant pour eux-mêmes ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 novembre 2000, notifiée le 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Isabel DIAS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 10 mai 1999, M. … BALIC et son épouse, Mme … …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux BALIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux BALIC-… furent entendus séparément en date du 14 juillet 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 13 novembre 2000, notifiée le 8 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux BALIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile vers la fin du mois d’avril 1999 en compagnie de votre épouse et de votre fils …. Un passeur vous a tous conduits au Luxembourg où vous êtes arrivés en date du 10 mai 1999.

Vous ne donnez pas d’indications en ce qui concerne les pays traversés.

Monsieur, vous relevez avoir effectué votre service militaire de 1989 à 1990. Votre épouse aurait refusé d’accepter deux appels pour faire la réserve qui vous auraient été adressés. Vous ajoutez que vous risqueriez d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour votre insoumission. Vous auriez peur de l’éclatement d’un conflit au Monténégro et aussi de l’armée, de la police militaire, du tribunal et des Serbes. Cette peur serait liée à votre religion sans que vous ne fournissiez de plus amples explications. Vous dites également avoir perdu votre emploi. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir personnellement subi de persécution.

En ce qui vous concerne, Madame, vous relevez avoir quitté votre pays d’origine en raison de l’appel à la réserve de votre mari, qui risquerait une condamnation par le tribunal militaire pour insoumission. Par ailleurs, vous auriez peur de la situation au Monténégro.

Enfin, vous dites ne pas avoir été membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention. Pour la même raison, la crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas non plus une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Votre peur de l’éclatement d’un conflit au Monténégro et le fait que vous auriez perdu votre emploi, même à supposer ce fait établi, ne constituent pas non plus des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié aux termes de la Convention de Genève.

2 Quant à vous, Madame, vous ne relevez pas non plus de faits pouvant fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 5 mars 2001, les époux BALIC-BORANCIC ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 13 novembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que M. BALIC aurait fait l’objet d’insultes et de provocations de la part des Serbes en raison de son appartenance à la communauté musulmane, qu’en outre, M.

BALIC aurait été appelé à deux reprises par l’armée fédérale pour la réserve militaire, que son épouse aurait refusé de réceptionner ces convocations et qu’il risquerait de subir des mauvais traitements ou d’être condamné comme insoumis à une peine de prison.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de M. BALIC et leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux BALIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux BALIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux BALIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 14 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur l’état d’insoumission de M.

BALIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. BALIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. BALIC n’établit pas, au vu de 4 l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant la situation générale des musulmans au Monténégro et le risque qu’une nouvelle guerre n’éclate dans la région, il y a lieu de constater que les demandeurs n’ont pas spécifié en quoi ils seraient individuellement et concrètement exposés à des risques de persécution, de sorte que la crainte y afférente qu’ils ont exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. - Il en est de même en ce qui concerne les allégations vagues des demandeurs relatives à des prétendues provocations et insultes émanant de Serbes à l’encontre de M. BALIC, lesquelles, même à les supposer établies, sont insuffisantes à elles-seules pour justifier que leur vie serait devenue insupportable dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12996
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;12996 ?

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