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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12992

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 12992


Tribunal administratif N° 12992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par M. … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12992 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2001 par Maître Eliane SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Françoise HILGER, avocat, les

deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … MURATOVIC, né le … à Bér...

Tribunal administratif N° 12992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mars 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par M. … MURATOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12992 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mars 2001 par Maître Eliane SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Françoise HILGER, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … MURATOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, notifiée le 28 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 7 février 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 mai 2001;

Vu la lettre de Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, assisté de Maître Martine WODELET, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, entrée au greffe du tribunal administratif le 19 septembre 2001, informant le tribunal de ce qu’il a mandat pour assurer la défense des intérêts de M. MURATOVIC, en remplacement de l’avocat antérieurement constitué;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Martine WODELET, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 27 avril 1999, M. … MURATOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des 1 réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. MURATOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

M. MURATOVIC fut ensuite entendu en date du 29 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 novembre 2000, notifiée le 28 décembre 2000, le ministre de la Justice informa M. MURATOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez que vous n’auriez pas reçu de convocation pour effectuer le service militaire, mais que la police serait venue vous chercher. Vous auriez peur d’être envoyé au combat. Vous ajoutez qu’en temps normal, vous auriez fait le service. Vous pensez risquer une peine d’emprisonnement. Vous admettez par ailleurs ne pas être membre d’un parti politique. Enfin, vous auriez parfois été arrêté par la police et insulté en raison de votre appartenance religieuse.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Vous ajoutez d’ailleurs que vous effectueriez le service militaire en temps de paix.

Les incidents avec la police, même à les supposer établis, ne constituent pas non plus une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n‘alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 24 janvier 2001, M. MURATOVIC introduisit, par le biais de son mandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 novembre 2000.

Par décision du 7 février 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 2 mars 2001, M. MURATOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 novembre 2000 et 7 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice de méconnaître la réalité et la gravité des persécutions qu’il risque de subir en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son insoumission. Il précise que la situation générale au Monténégro et, plus particulièrement, dans la ville de Bérane serait tendue en raison d’un clivage entre les sympathisants du président DJUKANOVIC, qui militerait pour une indépendance totale du Monténégro, et les adhérents de l’ancien président yougoslave MILOSEVIC, que les autorités de son pays ne prendraient pas en considération ses convictions religieuses et continueraient à exiger qu’il accomplisse son service militaire, de sorte qu’il n’aurait vu d’autre solution que de fuir son pays d’origine et, par conséquent, il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde. Enfin, il fait soutenir que la loi d’amnistie votée par le parlement monténégrin ne serait qu’une loi politique contraire au droit fédéral et qu’elle ne serait pas de nature à le protéger contre le risque de condamnation précité.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. MURATOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. MURATOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. MURATOVIC lors de son audition en date du 29 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif que le demandeur fait valoir, à savoir celui fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

MURATOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. MURATOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

4 Enfin, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12992
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;12992 ?

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