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17/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12930

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2001, 12930


Tribunal administratif N° 12930 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par M. …, alias … …, son épouse, Mme … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12930 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2001 par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, assis

té de Maître Frédérique BARETTI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif N° 12930 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 17 octobre 2001

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Recours formé par M. …, alias … …, son épouse, Mme … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12930 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2001 par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Frédérique BARETTI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, déclarant être né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, de son épouse, Mme … …, née le … à … (Yougoslavie), de nationalité bosniaque, et de leur fille .., née le … à … (Turquie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement ensemble à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 septembre 2000, notifiée le 13 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 décembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2001;

Vu le mémoire supplémentaire déposé, avec l’accord du tribunal, au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, assisté de Maître Mourad SEBKI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. « … … (actuellement connu sous l’identité de Monsieur … …) né le … à … » et consorts;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, transmis par télécopie le 5 octobre 2001, déposé en original au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Mourad SEBKI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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1 En date du 19 janvier 2000, un couple se présenta au ministère de la Justice sous les identités de : …, né le …à … (Tunisie), de nationalité tunisienne et … …, épouse …, née le …à (Yougoslavie), de nationalité bosniaque. Les prétendus époux …-… étaient accompagnés de leur fille …, née … à … (Turquie), de nationalité tunisienne. A cette occasion, ils introduisirent oralement auprès du service compétent dudit ministère une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le …, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les prétendus époux …-… furent entendus séparément en date des 19 janvier et 1er février 2000 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 septembre 2000, notifiée le 13 novembre 2000, le ministre de la Justice informa les prétendus consorts …-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Turquie le 15 janvier 2000.

Monsieur, vous exposez avoir été condamné à une peine d’emprisonnement de 5 ans en Tunisie en 1987 pour avoir soutenu les familles de prisonniers islamistes. Cette condamnation aurait été la raison de votre départ de la Tunisie.

Vous expliquez que les activités que vous auriez eues à l’époque où vous aviez vécu en Tunisie seraient mal vues dans tous les pays arabes. Vous auriez peur d’être renvoyé vers la Tunisie.

Vous indiquez que vous n’auriez plus pu exercer votre commerce en raison de la fermeture de la frontière entre la Turquie et la Syrie ce qui vous aurait causé des problèmes économiques.

Vous auriez vécu en Turquie avec un passeport syrien falsifié que vous auriez détruit en 1998 en raison de la situation qui s’est détériorée entre la Turquie et la Syrie.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari sans invoquer des éléments de persécution personnelle.

Force est cependant de constater que les problèmes que vous auriez eus ne suffisent pas pour justifier l’obtention du statut de réfugié.

Monsieur, vous déclarez vous-même ne pas avoir fait l’objet de persécution personnelles. Vous faites état d’une décision de condamnation dont vous n’apportez pas de preuve.

2 Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 décembre 200, les prétendus consorts …-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 septembre 2000.

Par décision du 19 décembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 février 2001, les prétendus consorts …-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 septembre et 19 décembre 2001.

Il convient en premier lieu de faire droit à la demande formulée oralement par le mandataire des demandeurs lors des plaidoiries de l’affaire à l’audience du 8 octobre 2001 tendant à voir écarter des débats le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement, lequel mémoire a été transmis au tribunal par voie de télécopie en date du 5 octobre 2001 et déposé en original au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 2001, au motif que ledit mémoire n’a pas été déposé dans le délai qui avait été imparti à cette fin lors de l’audience publique du 9 juillet 2001, c’est-à-dire pour ne pas avoir été déposé avant le 1er octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer que M. … serait de confession musulmane pratiquant sa religion « de manière convaincue », qu’il serait originaire de Tunisie, lequel pays se livrerait à « une guerre sans merci à l’encontre de tout opposant politique au régime en place et ce quelque soit son appartenance, opposant de mouvance laïc ou religieux [sic]», qu’en tant que pratiquant religieux, il serait « mal vu » par les autorités tunisiennes « qui font de ces opposants la cible première de toute répression policière et autre » et que M. … aurait fait l’objet d’une condamnation pénale de 5 ans d’emprisonnement pour « complot contre le pouvoir ». Les demandeurs ajoutent qu’ils seraient conscients de ce qu’ils ne pourraient pas apporter de preuve matérielle quant à la condamnation de M. …, mais qu’étant donné que leur récit serait crédible et cohérent, ils devraient être admis au bénéfice du statut de réfugié. Ils ajoutent encore que leurs craintes de persécution seraient renforcées par le fait que la famille de M. …, qui demeurerait toujours en Tunisie, aurait été persécutée suite à son départ de 3 Tunisie en 1987. Les demandeurs n’apportent cependant pas de précisions quant aux prétendues persécutions subies par des membres de sa famille.

Dans leur mémoire supplémentaire, l’actuel mandataire des demandeurs expose que l’identité réelle de M. … serait … …, né le … à …, que les motifs justifiant la reconnaissance resteraient ceux exposés lors de son audition par un agent du ministère de la Justice et dans la requête introductive de la présente instance. Ils relèvent encore spécialement le fait que M. … serait proche de l’« organisation … », que les pièces produites en cause ensemble avec le prédit mémoire documenteraient une situation générale dangereuse pour les adhérants à ladite organisation en Tunisie et qu’il serait exposé à subir la condamnation pénale décidée à son égard et des tortures et autres persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

Concernant le fait d’avoir dissimulé sa réelle identité, le mandataire des demandeurs expose que M. … aurait eu peur de la communiquer et qu’il « convient d’observer à cet égard que l’on ne vit pas pendant des années sous des identités de « dissimulation », si l’on ne craint pas de sérieuses menaces ou encore si l’on n’éprouve pas de sérieuses craintes pour sa vie et celles des siens à raison de ses opinions politiques et/ou religieuses; et qu’il s’agit là d’une situation extrêmement difficile à vivre, que seule une crainte réelle et sérieuse peut permettre de comprendre ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… alias …-… lors de leurs auditions respectives en date des 19 janvier et 1er février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à 4 suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il échet de prime abord de relever que les motifs de persécutions tels qu’ils ont été présentés dans le dernier état des conclusions des demandeurs différent sensiblement des déclarations initiales de M. … alias … étant donné que lors de son audition initiale, il a déclaré qu’il n’aurait pas eu de « carte d’un parti politique et [qu’il n’a pas fait] (…) parti d’un parti politique en Tunisie, mais [qu’il collectait] (…) de l’argent pour aider les familles de prisonniers islamistes en Tunisie », tout en ajoutant qu’il aurait versé l’argent collecté « à une organisation islamiste informelle, qui n’avait pas de nom », alors qu’actuellement, il déclare, pièces à l’appui, avoir été membre d’un « mouvement d’opposition politique » dénommé « … ». Il convient d’ajouter à cette contradiction, le fait que le M. … alias … s’est présenté sous une fausse identité aux autorités luxembourgeoises, auxquelles il s’est adressé pour revendiquer la reconnaissance du statut de réfugié, sans apporter une explication convainquante relativement à son manquement caractérisé à son devoir de loyauté envers les autorités dont il réclame protection et assistance.

S’il est vrai que ces contradiction et mensonge des demandeurs ne sont pas décisifs à eux-seuls pour justifier un refus de leur demande d’asile, pareilles contradictions ébranlent cependant la crédibilité des demandeurs.

Sur ce, il est vrai encore que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que les demandeurs ont omis de faire état d’un rôle actif dans le chef de M. … alias … et surtout, ils n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans le pays d’origine de M. … alias …, en raison de l’appartenance de ce dernier au susdit mouvement politique. Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation de M. … alias … relativement à une condamnation pour « complot contre le pouvoir », affirmation qui reste à l’état de simple allégation faute par les demandeurs de produire le moindre élément de preuve objectif la concernant.

Pour le surplus, les demandeurs n’ont exprimé qu’une crainte en raison de prétendues persécutions subies par des membres de la famille de l’époux, qui résideraient toujours en Tunisie, sans cependant faire état d’un quelconque fait concret et précis et sans apporter le moindre élément de preuve, de sorte que les demandeurs n’établissent pas de raison personnelle suffisamment précise de nature à justifier dans leur chef une crainte justifiée d’être persécutés dans le pays d’origine de l’époux.

Il convient encore d’ajouter que l’épouse, qui n’a d’ailleurs jamais vécu en Tunisie, ne fait état, d’aucune crainte de persécution personnelle et les demandeurs n’invoquent aucune raison pour laquelle ils ne peuvent pas, à l’heure actuelle, s’installer dans le pays d’origine de l’épouse.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la 5 reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

écarte le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2001, par le premier juge, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12930
Date de la décision : 17/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-17;12930 ?

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