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11/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12949

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2001, 12949


Tribunal administratif N° 12949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MULIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12949 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maît

re Ariane KORTÜM, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. ...

Tribunal administratif N° 12949 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MULIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12949 et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Ariane KORTÜM, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … MULIC, né le … à Godusa (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Dobrole (Monténégro/Yougoslavie), agissant pour eux-

mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 octobre 2000, notifiée le 15 décembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2001 par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclarant qu’il a mandat pour occuper en remplacement de Maître Albert RODESCH, préqualifié;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2001 au nom des demandeurs;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement en date du 5 juin 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Daniel PHONG, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 8 mars 1999, M. … MULIC et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-

mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux MULIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux MULIC-… furent entendus séparément en date du 11 août 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 24 octobre 2000, notifiée le 15 décembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux MULIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Bijelo Polje pour aller à Sarajevo. Là, vous avez trouvé un passeur qui vous a conduits en Croatie et en Slovénie. Ensuite, vous avez continué votre voyage en voiture jusqu’au Luxembourg. Vous ne pouvez donner d’autres précisions quant à votre itinéraire.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Serbie en 1989/1990. Vous avez été appelé à la réserve en février 1999, mais c’est votre épouse qui a pris la convocation. Les polices civile et militaire sont venues à de nombreuses reprises vous chercher, mais vous vous cachiez pour éviter de partir à la guerre. Finalement, vous avez pris la décision de quitter votre pays. Vous dites refuser de vous battre contre des gens avec qui vous viviez en paix auparavant. Vous affirmez que le fait de n’avoir pas rejoint la réserve vous vaudrait une peine de deux ou trois ans de prison.

Vous déclarez encore n’avoir été membre d’aucun parti, mais avoir approuvé le programme politique de DJUKANOVIC.

Vous reconnaissez n’avoir pas été personnellement victime de persécutions, mais vous expliquez que, en tant que chauffeur de taxi, vous receviez souvent des contraventions injustifiées et vous ajoutez que cela s’expliquait par votre appartenance à la religion musulmane.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous précisez que, quand les policiers et militaires venaient le chercher pour aller à la réserve, ils vous insultaient.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation 2 individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, je dois constater que vous n’alléguez, ni l’un ni l’autre, aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. En effet, une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 12) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 janvier 2001, les époux MULIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire de l’époque, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 octobre 2000.

Par décision du 19 janvier 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 21 février 2001, les époux MULIC-… ont fait introduire un recours contentieux à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 24 octobre 2000 et 19 janvier 2001. Ledit recours tend en dernière analyse à la réformation des deux décisions litigieuses. En effet, même si les demandeurs concluent dans le corps de leur requête introductive d’instance à l’annulation desdites décisions, force est de constater que dans le dispositif de la requête, ils concluent en outre à se voir accorder le statut de réfugié politique, mesure qui ne peut être prise par le tribunal administratif que dans le cadre d’un recours en réformation, de sorte qu’il convient d’admettre qu’ils ont entendu introduire un tel recours.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que les musulmans constitueraient une minorité au Monténégro et que les membres de cette minorité auraient des « relations extrêmement conflictuelles » avec la majorité serbe du Monténégro, qu’en février 1999, M. MULIC aurait été appelé par l’armée fédérale pour participer à la guerre au Kosovo, qu’il aurait refusé de donner une suite à cet 3 appel au motif que les musulmans seraient discriminés au sein de l’armée fédérale yougoslave et qu’il n’aurait pas voulu participer à une guerre qu’il juge illégitime et qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction. Les demandeurs ajoutent que M. MULIC aurait exercé la profession de chauffeur de taxi et que, peu de temps avant leur départ, il aurait eu un accident de la circulation avec un Serbe, que suite à cet accident, le Serbe aurait perdu la vie, raison pour laquelle leur famille « fut régulièrement importunée et menacée de mort par la famille du Serbe décédé » et que « ne pouvant trouver aucune aide auprès des autorités de police et craignant pour leur sécurité et leur vie, ainsi que pour celle de leurs enfants, le sieur et la dame MULIC-… ont décidé de fuir leur pays ».

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font encore ajouter que, concernant l’insoumission de M. MULIC, le fait qu’une loi d’amnistie a été votée ne serait pas de nature à les prévenir contre un risque de condamnation au motif que la loi d’amnistie ne serait pas applicable à M. MULIC, en ce que l’insoumission serait un délit continue et, partant, il risquerait toujours d’être condamné.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission et les actes de persécutions subis dans le passé par les demandeurs et la situation générale des musulmans au Monténégro qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MULIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux MULIC-….

4 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MULIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 11 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de M. MULIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. MULIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. MULIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement. Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Enfin, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, étant remarqué que les insultes par eux alléguées sans autres précisions ne sont pas de nature à leur rendre la vie intolérable dans leur pays d’origine et qu’en ce qui concerne les menaces proférées à leur encontre par la famille de la victime d’un accident dans lequel M. MULIC était impliqué, abstraction faite de ce que les demandeurs n’en ont pas fait état lors de leurs auditions par un agent du ministère de la Justice, sans qu’ils aient expliqué ou tenté d’expliquer les raisons de leur silence y afférent, 5 ils ne démontrent pas que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12949
Date de la décision : 11/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-11;12949 ?

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