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11/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12936

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2001, 12936


Tribunal administratif N° 12936 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MURATOVIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12936 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2001 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tab

leau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … MURATOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougos...

Tribunal administratif N° 12936 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MURATOVIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12936 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 2001 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … MURATOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bérane, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 juillet 2000, notifiée le 25 septembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 19 janvier 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Marc ELVINGER, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 28 juin 1999, M. … MURATOVIC et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par 1 règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux MURATOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux MURATOVIC-… furent entendus séparément en date du 30 juin 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 27 juillet 2000, notifiée le 25 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux MURATOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez transité à travers l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 26 juin 1999.

Monsieur, vous exposez avoir fait votre service militaire de 1989 à 1990. Vous auriez reçu deux appels en avril 1999 pour aller la réserve. Vous auriez refusé d’y aller.

Vous auriez peur d’être condamné à une peine d’emprisonnement par le tribunal militaire. La police militaire serait venue vous chercher à votre domicile à Berane, alors que vous aurez en fait habité à Bar.

Le motif de refus de faire la réserve aurait été votre refus d’être tué à la guerre du Kosovo.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999, de sorte que la crainte d’une guerre n’est plus justifiée.

Madame, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure 2 relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 octobre 2000, les époux MURATOVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 juillet 2000. Dans ladite lettre, les demandeurs sollicitèrent, en ordre subsidiaire, la reconnaissance d’un statut de tolérance tel que prévu par l’article 14 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif que la situation générale resterait instable dans leur pays d’origine et qu’ils auraient un enfant de moins d’un an né au Luxembourg.

Par décision du 10 novembre 2000, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Suite à une nouvelle lettre du mandataire des demandeurs, datée au 22 décembre 2000, contenant un complément au recours gracieux, le ministre, par lettre du 19 janvier 2001, après avoir procédé à un réexamen du dossier, confirma une nouvelle fois sa décision initiale.

Par requête déposée en date du 19 février 2001, les époux MURATOVIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 27 juillet 2000, ainsi que de celle confirmative sur recours gracieux prise par ledit ministre en date du 19 janvier 2001.

QUANT AU REFUS DU STATUT DE REFUGIE AU SENS DE LA CONVENTION DE GENEVE Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, qu’ils auraient fui leur pays d’origine « dans le contexte du conflit du Kosovo », après que M. MURATOVIC aurait été appelé à deux reprises par l’armée fédérale pour la réserve militaire, auxquelles convocations il n’aurait pas donné suite et après que la police militaire l’aurait recherché à son domicile à Bérane, que son insoumission serait motivée par le fait qu’il n’aurait pas voulu participer à une guerre que la communauté internationale avait condamnée, et qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction. Les demandeurs ajoutent que toute sanction, quelle qu’elle soit, devrait être considérée comme disproportionnée, étant donné que « du point de vue d’un pays membre de l’OTAN, il était évidemment parfaitement légitime, et il y avait même un devoir à ne pas s’associer à la guerre menée par la Yougoslavie à l‘encontre du Kosovo ».

3 En droit, les demandeurs reprochent en substance au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de M.

MURATOVIC et les risques de sanction y afférents qui constitueraient une crainte raisonnable de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MURATOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux MURATOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MURATOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 30 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant l’unique motif soulevé par les demandeurs tiré de l’état d’insoumission de M. MURATOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

4 En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

MURATOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. MURATOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

QUANT A LA DEMANDE EN ADMISSION A UN STATUT DE TOLERANCE Enfin, il convient de relever que le recours contentieux des demandeurs est également dirigé contre une éventuelle décision du ministre de la Justice relativement à leur demande en admission à un statut de tolérance, telle que formulée en ordre subsidiaire dans leur recours gracieux du 19 octobre 2000, cependant uniquement pour le cas où une décision y afférente aurait d’ores et déjà été prise.

Or, dans la mesure où les deux décisions ministérielles des 10 octobre 2000 et 19 janvier 2001 sont purement confirmatives de la décision initiale du 27 juillet 2000, cette dernière ayant exclusivement trait à la procédure « normale » de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et que le délégué du gouvernement a confirmé implicitement à travers son mémoire en réponse qu’aucune décision n’a encore été prise y relativement, il n’y a pas lieu de procéder à l’examen de ce volet du recours.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre la décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié;

5 condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12936
Date de la décision : 11/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-11;12936 ?

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