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11/10/2001 | LUXEMBOURG | N°12919

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2001, 12919


Tribunal administratif N° 12919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … OSMANOVIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12919 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de

Maître Sarah TURK, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 12919 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2001 Audience publique du 11 octobre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … OSMANOVIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 12919 et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2001 par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, assistée de Maître Sarah TURK, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … OSMANOVIC, né le … à Rozaje (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), agissant pour eux-

mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, notifiée le 24 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique. Le recours tend en outre à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision entreprise du 20 novembre 2000;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2001 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sarah TURK, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 18 janvier et 29 avril 1999, M. … OSMANOVIC et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux OSMANOVIC-… furent entendus respectivement en date des 18 janvier et 29 avril 1999 par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité.

M. OSMANOVIC fut ensuite entendu le 6 mai 1999 par un agent du ministère de la Justice sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Les époux OSMANOVIC-… furent entendus séparément en date du 14 septembre 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 novembre 2000, notifiée le 24 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux OSMANOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous Monsieur, vous êtes arrivé au Luxembourg le 18 janvier 1999. Madame, vous êtes arrivée au Luxembourg le 29 avril 1999 accompagnée de vos enfants mineurs.

Monsieur, vous exposez avoir reçu un appel pour faire la réserve en février 1999.

Vous auriez refusé de faire la réserve étant donné que vous n’auriez pas su contre qui vous battre. Vous auriez reçu une convocation pour vous présenter devant le tribunal militaire.

Vous indiquez avoir été régulièrement convoqué par la police spéciale depuis l’année 1991 parce qu’on vous aurait soupçonné de posséder des armes.

Vous expliquez avoir peur de Milosevic, de Bulatovic et de tous les Serbes.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité à cause de la situation politique en Yougoslavie. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n'alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure 2 relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Vous êtes invités à quitter le territoire du Luxembourg dans le mois suivant la notification de la présente décision. Dans le cas où vous exerceriez un recours devant les juridictions administratives, vous devrez quitter le territoire dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée. En cas de non-respect des délais prescrits, un rapatriement sera organisé soit vers votre pays d’origine, soit vers tout autre pays où vous serez légalement admissibles ».

Par requête déposée en date du 16 février 2001, les époux OSMANOVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 20 novembre 2000. Ledit recours tend en outre à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 20 novembre 2000.

QUANT AU 1ER VOLET DU RECOURS VISANT LE REFUS DE RECONNAISSANCE DU STATUT DE REFUGIE Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise en ce qu’elle refuse la reconnaissance du statut de réfugié.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane, que M. OSMANOVIC aurait effectué son service militaire en 1988-

1989, qu’il aurait été appelé à diverses reprises par l’armée fédérale à la réserve militaire, qu’il aurait refusé de donner une suite à ces convocation au motif qu’il n’aurait pas voulu être envoyé au front et qu’il risquerait d’être condamné comme déserteur à une peine de prison lourde. Ils font encore ajouter que le fait qu’une loi d’amnistie aurait été votée ne serait pas de nature à prévenir M. OSMANOVIC contre un risque de condamnation au motif que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux « personnes soupçonnées de terrorisme », ce qui serait son cas, étant relevé qu’il aurait déjà été arrêté et détenu pendant environ un mois et demi pour détention irrégulière d’armes. Ils ajoutent que M. OSMANOVIC aurait été maltraité durant sa détention, qu’il aurait subi des menaces de la part de la police et qu’ils craindraient de nouvelles persécutions en cas de retour dans leur pays d’origine.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation de la décision ministérielle pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission et les actes de persécutions subis dans le passé par M. OSMANOVIC et la situation générale des musulmans au Monténégro qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux OSMANOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux OSMANOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux OSMANOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 14 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de M. OSMANOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

OSMANOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée 4 pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. OSMANOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement. Dans ce contexte, l’affirmation que ladite loi ne lui serait pas applicable ou appliquée reste à l’état de simple allégation.

Ensuite, concernant les prétendues persécutions subies par le demandeur ou risques de persécutions en rapport avec le prétendu acharnement de la police spéciale, sa détention en raison d’une suspicion d’une possession illégale d’armes et les mauvais traitements, non autrement précisés, il convient de relever que des chicaneries de la part des services de police voire même une détention illégale d’un mois et demi, non établies en l’espèce, constituent certainement, à les supposer vrais, des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils justifient, à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs. En d’autres termes, les tracasseries et les risques de persécutions allégués par les demandeurs restent insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

QUANT AU SECOND VOLET DU RECOURS VISANT L’ORDRE DE QUITTER LE TERRITOIRE Aucune disposition légale ne conférant compétence, à la juridiction administrative, pour statuer comme juge du fond en cette matière, le tribunal est incompétent pour connaître de la demande en réformation de l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois.

Aucun recours spécifique n'étant prévu en la matière, le recours en annulation, recours de droit commun, est donc admissible contre ladite décision. Le recours en annulation est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En ce qui concerne ledit ordre de quitter le territoire dont les demandeurs ont fait l'objet à travers la décision entreprise du 20 novembre 2000, il convient de constater que ladite invitation est motivée par la considération que les demandeurs n'ont pas pu obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, le présent jugement confirmant par ailleurs cette analyse ministérielle de leur situation.

Or, dans la mesure où, d’une part, la décision litigieuse précise expressément que l'obligation de quitter le territoire national dans le mois prend effet le jour où la décision, soit celle initiale émanant du ministre soit la décision confirmative ultime des juridictions 5 administratives, aura acquis un caractère inattaquable et où le présent jugement confirme le caractère non fondé de la demande d'asile présentée par les demandeurs, et où, d’autre part, les demandeurs n'invoquent en outre pas avoir, à un quelconque autre titre, un droit de séjourner au Grand-Duché, l’ordre de quitter le territoire n’encourt également pas de reproche.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme dans la mesure où il est dirigé contre le refus de reconnaissance du statut de réfugié ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation en ce qu’il vise l’ordre de quitter le territoire ;

reçoit le recours en annulation dirigé contre ledit ordre ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 octobre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12919
Date de la décision : 11/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-11;12919 ?

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