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08/10/2001 | LUXEMBOURG | N°13156

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 octobre 2001, 13156


Tribunal administratif N° 13156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BAKIJA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13156 du rôle et déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Nuno PINTO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Mon

sieur … BAKIJA, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, deme...

Tribunal administratif N° 13156 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 8 octobre 2001 Recours formé par Monsieur … BAKIJA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13156 du rôle et déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Nuno PINTO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … BAKIJA, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 mars 2001 confirmant, sur recours gracieux, une décision du même ministre du 10 janvier 2001, lui notifiée le 19 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en ses plaidoiries à l’audience publique du 1er octobre 2001.

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Le 21 juin 1999, Monsieur … BAKIJA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur BAKIJA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur BAKIJA fut entendu en date du 25 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur BAKIJA par lettre du 10 janvier 2001, lui notifiée en date du 19 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte de peines du chef d’insoumission invoquée à l’appui de sa demande d’asile ne constituerait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs, suite au changement de régime politique en Yougoslavie depuis le mois d’octobre 2000, la Yougoslavie aurait retrouvé actuellement sa place dans la communauté internationale.

Par courrier de son mandataire datant du 8 mars 2001, Monsieur BAKIJA a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 10 janvier 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 14 mars 2001, il a fait introduire un recours tendant à la réformation de cette dernière.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur BAKIJA expose qu’il est de confession musulmane et originaire du Monténégro. Il fait valoir qu’après avoir reçu un appel pour être enrôlé dans le service militaire, il aurait choisi de quitter son pays d’origine par crainte de perdre sa vie, de sorte qu’aujourd’hui, en cas de retour dans son pays d’origine, il serait sanctionné par les autorités en place en raison de son insoumission. Il relève en outre avoir déjà reçu des menaces de mort de la part de réservistes pour soutenir que le ministre aurait dû lui accorder le statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement rétorque que la situation d’insoumis ou de déserteur du demandeur, ainsi que sa crainte d’encourir une peine d’emprisonnement disproportionnée de ce chef, ne saurait constituer, en principe, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié et que, par ailleurs, une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République Fédérale Yougoslave au mois de février 2001, laquelle est entrée en vigueur au mois de mars 2001 et aux termes de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission (article 214), ainsi que le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave (article 217), sont amnistiées. Il relève en outre qu’à l’heure actuelle la paix régnerait dans le pays d’origine du demandeur, de sorte qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement du service militaire au sein de l’armée yougoslave lui imposerait actuellement encore la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Quant à la crainte du demandeur du fait de son appartenance à la minorité musulmane, le représentant étatique fait valoir qu’il ne ressortirait en l’espèce pas du dossier que celui-ci 2 risquerait, individuellement et concrètement, de subir des traitements discriminatoires en raison de sa religion musulmane ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé, de sorte que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas.

adm. 1/2001, V° Recours en réformation, n° 9).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BAKIJA lors de son audition en date du 25 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen du demandeur basé sur sa situation d’insoumis, ainsi que sa crainte afférente de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité de cette infraction, force est de constater que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement au regard de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine invoquées pour le surplus par le demandeur, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

3 Encore que le demandeur n’a pas été représenté à l’audience publique du 1er octobre 2001, à laquelle l’affaire fut plaidée, le présent jugement est rendu contradictoirement, la procédure étant écrite devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 8 octobre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13156
Date de la décision : 08/10/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-10-08;13156 ?

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